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agraire à ses premières velléités communistes peut s’expliquer par un phénomène assez fréquent dans l’histoire des idées politiques. Les esprits plus enclins à prendre le contre-pied de ce qui existe qu’à chercher le sens exact de l’évolution à poursuivre dans un milieu donné, en arrivent trop souvent à accepter, comme formule de leurs revendications, ce qui n’est que le frelatage d’une idée juste opéré sciemment par leurs adversaires pour enrayer le développement de cette idée : ils prennent naïvement pour drapeau ce que leurs pires ennemis ont imaginé comme spectre rouge. C’est ce qui a dû avoir lieu pour la loi agraire invoquée à diverses reprises par les réacteurs de l’époque, à la suite de l’abbé Maury dans la séance de la Constituante du 13 octobre 1789 (Histoire socialiste, t. Ier, p. 451), dans le but de sauver les propriétés de l’Église et des émigrés, en inspirant des craintes sur le respect de sa propre propriété à la bourgeoisie possédante. C’est ce qui a eu lieu de nos jours pour l’antipatriotisme niaisement arboré par quelques pauvres cervelles, alors qu’il n’est qu’une misérable falsification de l’internationalisme socialiste due à la mauvaise foi des adversaires de celui-ci.

Après sa campagne sur les biens communaux, Babeuf s’évertua à démontrer « que les immenses domaines des ex-seigneurs avaient été presque tous illégitimement acquis ; et que, lors même qu’on ne considérerait pas le crime d’émigration dont le plus grand nombre s’était rendu coupable, la nation avait le droit de rentrer en jouissance de tant de riches possessions ». Toujours à propos du maintien des droits sur les boissons qui, malgré la présence, depuis plus d’un an, de troupes chargées d’en assurer la perception, continuaient à susciter quelques désordres, il dénonçait, le 8 juin 1792, la municipalité de Roye comme « concussionnaire » ; il la dénonçait de nouveau, le 14 juillet, pour avoir, dans sa décision du 10, justifié les « adresses liberticides » au roi à propos de la journée du 20 juin (Id., t. II, p. 1208-1214). Il avait de la sorte, on le croira sans peine, amoncelé sur sa tête la fureur de tout ce qui était riche et influent. Heureusement pour lui, ainsi qu’il l’a constaté, « vint le 10 août ».

Très populaire, il fut, en septembre, nommé membre de l’administration du département de la Somme. Actif et ardent, il dénonça, en octobre, une conspiration royaliste « pour livrer le passage de la France par Péronne, après le succès attendu du siège de Lille » par les Autrichiens. Il s’occupa d’arrêter une famine factice organisée dans le district d’Abbeville. Il réclama la publicité des séances de l’administration départementale. Son zèle, toujours en éveil, parfois puérilement d’ailleurs, comme lorsqu’il protesta contre les pièces « royalistes et nobiliaires » jouées au théâtre d’Amiens, se heurta au mauvais vouloir, sinon à la complicité contre-révolutionnaire de ses collègues, et les haines qu’il souleva lui firent abandonner son poste au département et accepter de passer, en novembre 1792, au district de Montdidier en qualité d’administrateur. Là, il se réjouit de la mort de Louis XVI dont