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anciens ; donner la plupart des noms ici, ce ne serait plus leur rendre un hommage mérité, ce serait presque dresser un pilori pour beaucoup de ceux qui ont eu la chance d’être oubliés. Sauf peut-être dans l’épigramme, la versification est le triomphe de la périphrase inutile et ridicule. La poésie lyrique a des odes d’Ecouchard Lebrun, où, d’après Sainte-Beuve, les « jets de talent sont isolés ». (Causeries du Lundi, t. V, p. 133). Dans des genres divers, il n’y a guère à citer que des épîtres de Marie-Joseph Chénier, entre autres celle Sur la calomnie (1796) ; des contes d’Andrieux, dont le plus connu, le Meunier de Sans-Souci, date de 1797 ; la Guerre des dieux (1799) de Parny qui, depuis 1795, en avait publié de nombreux fragments et dont le poème, trop vanté par certains, a été trop décrié par ceux aux yeux desquels la pornographie biblique est d’origine divine ; les Quatre métamorphoses (1799), poème licencieux de Népomuoène Lemercier.

En prose, nous avons le Cours de littérature que débitait Laharpe au « Lycée républicain » mentionné plus haut (§4). À ce critique qui en était arrivé à encenser ceux que, le 3 frimaire an II (23 novembre 1793), il avait appelé « les charlatans à étoles et à mitres » (Ed. et J. de Goncourt, Histoire de la société française sous le Directoire, édition de 1895, p. 250), revient la paternité d’une des plus stupides propositions toujours utilisées, sans nommer l’auteur, comme preuve du vandalisme révolutionnaire : dans le Mercure français du 27 pluviôse an II (15 février 1794), il demandait qu’on arrachât aux livres de la Bibliothèque nationale les reliures portant les armoiries royales. Mercier nous a malheureusement laissé plus de déclamations que d’observations dans les tableaux de mœurs du Nouveau Paris (1705). Sous le titre Monsieur Nicolas, parurent, de 1794 à 1797, des mémoires de Restif de la Bretonne, dont le vocabulaire a une variété rare chez les littérateurs de cette époque et qui a eu, lui, le mérite de nous montrer de vrais paysans et la véritable rue parisienne. En 1794, le Voyage autour de ma chambre, assez agréable fantaisie à laquelle nuit l’abus qu’on en fait auprès des enfants, révéla le nom de Xavier de Maistre, dont le frère aîné Joseph donna, en 1796, son premier ouvrage important, les Considérations sur la France : il y appréciait la Révolution comme un moine a apprécié, en moins bon langage, du haut de la chaire de Notre-Dame (8 mai 1897), l’incendie du Bazar de la Charité. En 1797, Chateaubriand publiait l'Essai sur les révolutions anciennes et modernes, curieux parce qu’il établit que l’auteur n’était pas encore atteint de sa maladie de foi chrétienne.

Dans les deux genres créés en France par la Révolution, l’éloquence et le journalisme politiques, les grands noms, pendant les cinq années qui nous occupent, font défaut. De Mme de Staël, il n’y eut que des brochures négligeables. Les romans furent nombreux, interminables et très médiocres quand ils n’étaient pas très mauvais ; ce fut le triomphe de Victor ou l’Enfant de la forêt (1796) par Ducray-Duminil et des traductions des œuvres pleines de