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fond de Soulé, ancien garde du corps de Louis XVI, émigré rentré. Au nombre d’au moins 20 000, les sectionnaires du centre, les émigrés et les Chouans qui s’étaient rendus en masse à Paris, cernaient les 5 000 défenseurs de la Convention ; ils étaient fortement installés à Saint-Roch, occupaient le Pont-Neuf et étaient maîtres de la communication entre la rive droite et la rive gauche.

Pendant que les adversaires s’observaient, les troupes de la Convention ayant ordre de ne point prendre l’initiative de l’attaque, Danican envoya une lettre au comité de salut public proposant une entrevue, indiquant les conditions possibles d’entente, réclamant surtout le désarmement des patriotes. Dans le « comité des Quarante », formé du comité de salut public, du comité de sûreté générale et du comité militaire réunis en commission de gouvernement, puis dans la Convention, certains royalistes déguisés accueillirent favorablement ces propositions des sectionnaires ; mais la Convention venait de décider de ne pas répondre personnellement à Danican et de déléguer vingt-quatre représentants chargés d’éclairer les citoyens, lorsqu’on entendit des décharges de mousqueterie, puis d’artillerie. La lutte était engagée. On discute encore la question de savoir quels furent les assaillants ; or le mouvement insurrectionnel suscité par eux et leur état d’esprit pendant toute cette période, rendent évident que ce furent les royalistes rebelles, émigrés et Chouans, se croyant sûrs de la victoire et ayant hâte de surmonter la timidité de leurs alliés bourgeois, qui tirèrent les premiers — le soir même le représentant Cavaignac disait à la Convention : « Le combat a commencé par une agression des royalistes » ; — agirent-ils par ordre de leur chef ou de leur propre mouvement, tel est le seul point douteux. Quoi qu’il en soit, toutes leurs attaques furent victorieusement repoussées. La situation un instant compromise aux environs de Saint-Roch fut rétablie par les patriotes ; il y eut deux ou trois cents morts ou blessés de chaque côté. Dans la nuit et dans la matinée du 14 (6 octobre) les sections étaient définitivement réduites ; un nouvel appel aux armes des sections Lepeletier et du Théâtre-Français n’obtenait aucun succès auprès de bourgeois qui, dans la soirée du 13, déconcertés par leur défaite et n’ayant pas tout le courage que leur a prêté Lacretelle jeune, fuyaient, d’après le lieutenant Énée (Zivy, Le 13 vendémiaire an IV, p. 126), devant un fiacre que leur esprit troublé prenait pour une charge de cavalerie. Le 15 vendémiaire (7 octobre), les sectionnaires se laissaient désarmer sans difficulté au milieu des railleries des femmes du peuple leur criant (Courrier français du 18 vendémiaire-10 octobre, cité par M. Aulard dans son recueil, t. II, p. 313) : « Allez, fanfans, à votre tour, à votre tour ! » Ce même jour, trois conseils militaires étaient institués.

Ainsi qu’il arrive presque toujours quand il s’agit des réactionnaires, le gouvernement fut d’une indulgence extrême : de l’aveu de Lacretelle jeune, « tous ceux qui avaient à redouter sa colère » purent sortir de Paris avec fa-