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uns des autres, tous, exaltés et modérés, finissent par avoir leur tour au détriment de l’idée commune, et cela devient d’autant plus aisé et plus rapide que les brèches déjà faites au parti ont été plus nombreuses. Une fois les hommes d’initiative, quelle que soit leur nuance, disparus, il ne reste qu’un parti décimé, émietté, épuisé, sans ressort et, par dessus tout, sans hommes aptes à le tirer de son inertie ; ce sont, en effet, ceux-là qui, étant au premier plan, ont été supprimés au seul bénéfice de l’ennemi commun. Quand ensuite il faut remuer la masse, les hommes énergiques et capables, donnant l’exemple et écoutés, font défaut, l’impulsion manque ou est insuffisante, et les coups d’État d’hommes disposant déjà de forces organisées ont chance de réussir. Telle a été la situation — on en trouvera les preuves dans les chapitres suivants — du parti républicain à partir de Thermidor avec, à la fin, la réaction politique victorieuse pour longtemps. Et si d’anciens Conventionnels se mirent en assez grand nombre à la remorque de cette réaction, c’est que, retombés à leur médiocrité par la disparition de ces mêmes grands noms qui leur avaient servi de guide et les avaient un instant haussés au niveau des événements, livrés à eux-mêmes, ils ne firent ni plus ni moins que la majorité des hommes et allèrent au succès.

Notre grand historien Michelet, qui ne saurait être légitimement compté au nombre des socialistes, qui a émis sur le socialisme des appréciations erronées, comme lorsqu’il le rend responsable du gouvernement militariste de Bonaparte (Histoire du xixe siècle, T. Ier, p. x), n’a compris ni le nouveau mouvement historique des classes, ni le rôle du prolétariat dans ce mouvement. Cela n’empêche pas les socialistes de voir en lui un allié, ainsi que le sont à leurs yeux tous ceux qui, dans un ordre quelconque de connaissances, ont dissipé des erreurs, tous ceux qui font, si peu que ce soit, avancer les hommes sur la voie de la vérité. Cela n’a pas empêché Michelet, classant les faits d’après leur réelle valeur historique et non d’après leur apparence momentanée et l’opinion des contemporains, de signaler, sans restreindre son importance, l’apparition du socialisme et d’en faire, par anticipation clairvoyante, l’événement capital, dès le seuil même de l’Histoire du xixe siècle (chap. Ier) qui, pour lui, part de Thermidor.

À l’exemple de Michelet, je pense que la première apparition du socialisme n’est pas antérieure à l’époque dont nous allons étudier l’histoire. Le socialisme, en effet, implique à la fois d’abord une théorie générale, quelle qu’en soit la valeur, d’organisation de la propriété et, par suite, de la société, ayant avant tout pour but d’égaliser les conditions sociales de vie et de développement, d’universaliser le bien-être, ensuite la croyance, à tort ou à raison, de son auteur et de ses partisans en la possibilité immédiate d’appliquer plus ou moins graduellement cette théorie, et enfin la poursuite de sa réalisation. En un mot, le socialisme n’existe pas quand il y a exclusivement