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exemple, vinrent, pour la défense de la République menacée, au secours de ceux qui, la veille, étaient leurs persécuteurs. Un arrêté des comités les fit armer, la commission des Cinq les plaça sous le commandement du général de division Berruyer et on leur accorda des rations de vivres. Résolu maintenant à agir, le gouvernement se refusait cependant à prendre l’initiative. Cette fois encore le signal fut donné par la section Lepeletier : dans la matinée du 12 vendémiaire (4 octobre), prétextant l’armement des patriotes, elle appelait les citoyens aux armes et les sections du centre l’imitaient. Les comités requirent alors l’arrestation du bureau de la section Lepeletier.

Les troupes des Sablons avaient à leur tête des généraux qui n’obéissaient qu’à contre-cœur : l’un, Desperrières, tout disposé à exterminer les patriotes « jusqu’au dernier » (Histoire secrète du Directoire, Fabre [de l’Aude], t. Ier, p. 12), refusait de combattre les royalistes et annonçait qu’il allait se mettre au lit (Moniteur du 18 vendémiaire - 10 octobre) ; l’autre, le général en chef Menou, traitait les patriotes « de scélérats et d’assassins » (Moniteur du 5 brumaire-27 octobre) et défendait à Berruyer de les faire sortir du jardin des Tuileries. Mandées dans la matinée du 12 (4 octobre), les troupes n’arrivaient que le soir vers sept heures ; bientôt dirigées contre le chef-lieu de la section Lepeletier qui était dans l’ancien couvent des Filles-Saint-Thomas — sur la partie actuelle de la place de la Bourse allant de la rue du Quatre-Septembre à la rue Réaumur — elles le cernaient. Si la force armée outrepasse habituellement les ordres les plus rigoureux contre les républicains avancés, elle pèche par excès d’amabilité dès que les réactionnaires sont en cause. Fidèles à cette tradition, les représentants présents et Menou engagèrent des pourparlers avec les rebelles et leur offrirent de faire retirer les soldats s’ils consentaient eux-mêmes à s’en aller. Les choses convenues ainsi, Menou, sans attendre que les rebelles se fussent dispersés, ordonna aussitôt la retraite, menaçant de passer son sabre au travers du corps du premier soldat qui insulterait « les bons citoyens de la section Lepeletier » (Idem), et, derrière lui, les rebellés se reformèrent plus portés que jamais à la résistance.

Indignée, la commission des Cinq destitua Menou et Desperrières et remit en activité des généraux sans emploi ; les comités désignèrent Barras comme général en chef de l’armée de l’intérieur, la Convention ratifia ce choix et Barras appela auprès de lui un homme que le 13 vendémiaire allait placer en pleine lumière.

Cet homme, « Napolione Buonaparte », comme il écrivait alors son prénom et son nom, général encore peu connu rayé des cadres, était né à Ajaccio le 15 août 1769. D’origine italienne, sa famille s’était établie en Corse à la fin du XVe siècle et avait acquis dans l’île une certaine influence. Son père, Charles Buonaparte, et sa mère, Letizia Ramolino, après avoir combattu pour l’indépendance de la Corse (1768-1769) avec Paoli, s’étaient, leur cause vaincue,