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composée des citoyens ou de leurs fils en état de porter les armes, était, par cela même, basée elle aussi sur le cens ; elle élisait ses officiers.

Les deux Conseils, le Directoire, les commissaires de la Trésorerie, les administrateurs départementaux et municipaux se renouvelaient par fraction — un tiers pour les Conseils, un cinquième pour le Directoire — chaque année. Sauf les juges, les hauts jurés et les commissaires de la Trésorerie toujours rééligibles, les divers autres élus, y compris les électeurs nommés par les assemblées primaires et les officiers de la garde nationale, après avoir exercé leurs fonctions pendant un certain temps, étaient astreints à une période d’inéligibilité.

Si l’article 353 portait : « Nul ne peut être empêché de dire, écrire, imprimer et publier sa pensée », l’article 355 prévoyait aussitôt la limitation de la liberté de la parole et de la presse en disant : « Toute loi prohibitive en ce genre, quand les circonstances la rendent nécessaire, est essentiellement provisoire et n’a d’effet que pendant un an au plus, à moins qu’elle ne soit formellement renouvelée ». Les « sociétés particulières s’occupant des questions politiques » n’étaient tolérées qu’avec beaucoup de restrictions. Mais, par l’article 374, étaient rassurés sur l’irrévocabilité des ventes des biens nationaux ceux qui les avaient acquis souvent au quart de leur valeur réelle, parfois au prix d’une seule année de revenu. Toutefois, la bourgeoisie dirigeante n’était pas encore cléricale ; la liberté des cultes était reconnue ; nul, ajoutait la Constitution, « ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’un culte. La République n’en salarie aucun », et « l’affiliation à toute corporation étrangère… qui exigerait des vœux de religion » faisait perdre la qualité de citoyen.

À peine le projet de Constitution déposé, des patriotes avaient protesté contre son esprit, de nature à enorgueillir, écrivait l’auteur — Antonelle, d’après Buonarroti (Conspiration pour l’égalité, t. Ier, p. 58) — des Observations sur le droit de cité (p. 5), « ces propriétaires et ces riches déjà trop insolents et trop forts par leurs propriétés mêmes et par leurs richesses ». De sa prison d’Arras (chap. xii), Babeuf protestait, les 17 et 18 fructidor (3 et 4 septembre), dans deux lettres adressées aux démocrates, « à l’armée infernale », contre le système des deux Chambres, contre le fait qu’il n’y aurait plus « d’instituteurs salariés par la nation » (voir chap. xi, § 4) et surtout contre la restriction du droit de suffrage et le rétablissement du cens : « D’après cette Constitution, tous ceux qui n’ont point de propriétés territoriales et tous ceux qui ne savent point écrire, c’est-à-dire la plus grande partie des Français n’auront même plus le droit de voter dans les assemblées publiques. Les riches et les gens d’esprit seront seuls la nation. On ne nous enlève cependant pas ce droit immédiatement à nous tous qui avons combattu pour l’anéantissement de l’esclavage. Mais on veut que chacun de nous, en mourant, dise à ses fils : Mes enfants… nous avons détruit la noblesse et les privilégiés pour