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tion quelconque de ce parti se fortifie ; elle achète ainsi une victoire passagère au prix d’un affaiblissement général dont elle se ressent elle-même tôt ou tard, et auquel malheureusement le parti tout entier et le principe sur lequel toutes ses fractions sont d’accord, finissent souvent par ne plus pouvoir résister. En contribuant à envoyer à la mort les diverses fractions républicaines qui ne partageaient pas ses vues particulières — Girondins, Hébertistes, Dantonistes — Robespierre croyait travailler au triomphe de la République, de la Révolution ; en réalité, il travaillait au bénéfice de leurs ennemis : chaque exécution de républicains, quelle que fût leur nuance, était pour elles une perte, pour eux un avantage ; quant à lui, des succès momentanés ne l’ont pas empêché de tomber victime de son propre système. Du reste, en frappant Robespierre, les thermidoriens républicains ont, nous le verrons, commis une faute de même nature et de même gravité que celles commises par Robespierre frappant les autres. Il est notamment permis de penser que l’influence de Robespierre durant la période de guerre aurait pu empêcher le développement de l’esprit de conquête et, par suite, de l’esprit militariste qui devait contribuer à la chute de la République. En continuant contre Robespierre et son parti l’œuvre néfaste de Robespierre et des Jacobins, les thermidoriens ont donc nui à la République elle-même, comme Robespierre lui avait déjà nui ; ni les uns ni les autres n’ont eu pareille intention, je le reconnais ; mais en politique les meilleures intentions ne sont pas une excuse.

La leçon qui se dégage de ces événements est double. Il faut d’abord — surtout en temps de révolution — soigneusement éviter d’inquiéter la masse de la population. S’il est absolument nécessaire de recourir à la rigueur légale contre certaines oppositions dangereuses et irréductibles, on doit agir de telle sorte que l’opération apparaisse clairement à tous comme une exception rassurante pour l’immense majorité tranquille. Ces événements nous apprennent, en outre, que les divisions d’un parti ne profitent qu’à ses adversaires. Dans tout parti il y aura toujours des nuances, il y aura toujours, si uni qu’on soit et à plus forte raison si on l’est peu, des divergences d’opinion quel que soit le motif de celles-ci ; mais l’intérêt réel de chacun et de tous exige qu’on s’efforce d’atténuer ces divergences, d’en canaliser les effets pratiques, au lieu de les accroître et de les laisser grossir au point de ne plus pouvoir les endiguer. En outre, ce n’est jamais à la violence que les diverses fractions d’un parti, correspondant aux différentes nuances inévitables, doivent entre elles recourir pour assurer le triomphe de leur propre manière de voir. Même au point de vue étroit de l’intérêt bien entendu de chacune d’elles, il vaudrait mieux pour elles se résoudre à un échec de leur idée particulière, que de voir celle-ci l’emporter par l’élimination violente d’une autre fraction : « On ne fonde point les gouvernements avec la mort », suivant le mot de Baudot dans ses Notes historiques sur la Convention (p. 114).

Si on compte sur la violence pour avoir dans un même parti raison les