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de ce succès. Fatiguée, manquant de tout, elle avait à protéger une ligne très étendue. Au lieu des renforts qu’il lui aurait fallu, elle voyait ses effectifs diminuer. On avait, après le 9 thermidor, laissé rentrer dans leurs foyers des jeunes gens de la classe bourgeoise que leur âge avait fait réquisitionner pour le service militaire et qui, ou ne s’étaient pas rendus à leur poste, ou l’avaient abandonné. La nouvelle circula bientôt dans les rangs que réfractaires et déserteurs vivaient chez eux sans être inquiétés, et leurs imitateurs devinrent de plus en plus nombreux. D’après Jomini (t. VII, p. 56), « ce n’est pas exagéré que de porter au quart de l’effectif le nombre de ceux qui rentrèrent en France ». D’après des documents du ministère de la guerre analysés par Villiaumé (Histoire de la Révolution française, 6e éd., t. III, p. 476 et suiv.), il y avait, en thermidor an II (juillet 1794), 707 170 soldats présents sous les armes ; il n’y en avait plus, en brumaire an IV (octobre 1795), à la fin de la Convention, que 444 071. Si on se plaignait de ceux qui partaient, on commençait aussi à se plaindre de ceux qui restaient. « On n’apercevait plus, a écrit Jourdan, cité par Louis Blanc (Histoire de la Révolution française, t. XI, p. 309), les traces de cette sévère discipline par laquelle l’armée s’était fait admirer dans la campagne précédente. Les soldats se livraient au pillage ». Quant aux chefs, voici ce qu’écrivait Hoche (Vie de Hoche, par Rousselin, t. II, p. 155-156) dans une lettre du 9 germinal an III (29 mars 1795) : « Le luxe a reparu dans les armées ; et, semblables à des pachas, nos généraux ont huit chevaux à leurs voitures ». Ce que nous constatons ici pour les troupes de terre, ce que nous constaterons un peu plus loin pour la marine, ce que nous avons constaté (fin du chap. vi) pour les finances, est confirmé pour « tous les services administratifs » de la guerre par MM. Krebs et Morris (Campagnes dans les Alpes pendant la Révolution, 1794-1796, p. 215) qui, en dehors de toute sympathie politique, signalent leur « relâchement… depuis la chute du parti jacobin ».

D’autre part, Pichegru se montrait disposé à trahir. Un agent royaliste, Louis Fauche-Borel, imprimeur à Neuchâtel — cette ville appartenait alors à la Prusse — et à la solde de Wickham, entrait en relation, à la fin d’août 1795, dans les environs de Huningue, avec Pichegru. Sur le fond, la trahison, on s’entendit tout de suite ; mais, sur la forme qu’elle devait revêtir, l’entente ne put se faire. Pendant que d’infâmes pourparlers continuaient entre Pichegru et le prince de Condé, — « le prince de Condé sait la manière dont je pense, que je suis disposé à tout faire pour lui », disait un peu plus tard Pichegru à un agent de l’Autriche, le colonel baron de Vincent dont le dernier défenseur de Pichegru, M. Ernest Daudet (La conjuration de Pichegru, p. 109), ne conteste nullement le témoignage — la Convention prescrivait la reprise des hostilités.

Découragée par l’échec de Quiberon, l’Autriche avait, le 6 thermidor (24 juillet), prié Hardenberg de proposer une trêve ; Barthélémy transmit, le