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peau blanc et du drapeau anglais patriotiquement arborés par les nobles émigrés : « Jamais, a écrit un de ceux qui étaient là, Moreau de Jonnès (Aventures de guerre au temps de la République et du Consulat, t. Ier, p. 222), l’apparition des couleurs nationales ne causa plus de surprise et de joie ». Mais, si la joie était d’un côté, l’affolement était de l’autre, d’autant plus que, changeant de direction les mortiers à grande portée préparés contre eux, les envahisseurs du fort les firent partir sur les canonnières anglaises qui mitraillaient les républicains et qui, au milieu d’un rire immense éclatant sur le rivage, s’empressèrent de couper leurs câbles pour esquiver ces bombes imprévues. Les émigrés furent bientôt chassés de toutes leurs positions ; protégés dans leur fuite par le feu d’une corvette anglaise, beaucoup — et Puisaye un des premiers — purent s’échapper à la nage ou dans des canots, au milieu de scènes de sauvagerie entre ceux qui étaient déjà dedans et ceux qui voulaient y entrer (Chassin, Les Pacifications de l’Ouest, t. Ier, p. 500) ; les autres furent acculés sur un petit plateau à l’extrémité de la presqu’île. Hoche leur ayant envoyé dire par Mesnage que, s’ils ne faisaient pas cesser le feu des Anglais, ils seraient tous exterminés ou jetés à la mer, Sombreuil fit arrêter la canonnade et se rendit (3 thermidor-21 juillet).

Ce dernier prétendit ensuite et les royalistes qui ont l’amour du faux devaient répéter qu’il y avait eu capitulation. La capitulation ainsi imaginée après coup ne pouvait pas avoir lieu, parce que l’article 7 (section 1re, titre V) de la loi du 25 brumaire an III (15 novembre 1794) portait : « Tous les Français émigrés qui seront pris faisant partie de rassemblements armés…, sont réputés avoir servi contre la France. Ils seront, en conséquence, jugés dans les vingt-quatre heures par une commission militaire ». En fait, cette capitulation impossible en droit n’a pas eu lieu. Le jour même, en effet, Hoche écrivait au chef de l’élat-major général à Rennes et au commandant de Lorient que l’armée royale n’avait eu « d’autre alternative que de se jeter à la mer ou d’être passée au fil de la baïonnette » (Chassin, Ibid., p. 508), et cela fut aussitôt affiché. Dès que les bruits mensongers de capitulation commencèrent à courir, Hoche faisait imprimer et afficher (16 thermidor-3 août) : « J’étais à la tête de 700 grenadiers qui prirent M. de Sombreuil et sa division ; aucun soldat n’a crié que les émigrés seraient traités comme prisonniers de guerre, ce que j’aurais démenti sur-le-champ » (Idem, p. 511). On avait cherché à exploiter le cri de soldats disant à leurs anciens camarades qui, prisonniers en Angleterre, avaient été par Pitt enrégimentés de force dans les troupes royales : « À nous les patriotes ! Rendez-vous, on ne vous fera rien ». C’est à cela que Hoche répondait ; et, alors même que ces paroles eussent été mal comprises, Sombreuil n’ignorait pas que ce n’est pas un cri de soldat qui peut faire une capitulation. Nous avons, d’ailleurs, le témoignage de deux chefs des émigrés. Le comte Gaspard de Contades parlant de ses « camarades » qui se rendirent, a écrit (Coblenz et Quiberon, souvenirs, p. 214) : « Ils ont attesté une capitulation qui