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p. 56). Le gouvernement anglais leur venait également en aide, mais sans excès lorsqu’ils ne lui étaient pas particulièrement utiles ; il devait, à partir de mai 1795, subvenir aux frais de l’armée de Condé qui, depuis la fin de 1794, était dans le Brisgau à la solde de l’Autriche.

Louis-Stanislas-Xavier, comte de Provence, dit « Monsieur » étant le frère le plus âgé de Louis XVI, et qui s’était lui-même proclamé Régent de France le 28 janvier 1793, habitait à Vérone avec Mme de Balbi, née de Caumont, sa maîtresse « autant que cela se pouvait » d’après le comte Gérard de Contades (Coblenz et Quiberon, souvenirs du comte de Contades, p.xvi), pendant que sa femme restait à Turin auprès de son père le roi de Sardaigne ; d’ailleurs, aussi attaché à la religion qu’à sa maîtresse, il apportait dans ses pratiques religieuses la même bonne volonté que dans ses relations extra-conjugales. Il vivait avec l’argent que lui versaient les cours d’Angleterre, d’Autriche et d’Espagne. L’ancien secrétaire de Louis XVI, le baron de Goguelat, a raconté (Bibliothèque des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, publiée par A. de Lescure, t. XXXIII, p. 188) qu’il « avait un cœur de lièvre » et qu’à Vérone « il saluait avec une abjecte et persévérante obséquiosité tous les caporaux autrichiens qui ne daignaient pas lui rendre son salut, tant il leur semblait dépourvu de toute dignité » (Idem, p. 189). Son confident était le duc d’Avaray et, en se nommant « régent », il avait passé le titre de « lieutenant général du royaume » à son frère cadet, le comte d’Artois, le futur Charles X. Celui-ci, effronté hâbleur, n’ayant de courage, a dit le comte de Vauban, que « pour supporter… les mépris dont il est abreuvé » (Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre de Vendée, p. 48), aussi égoïste que lâche, sacrifiait à ses aises Mme de Polastron, née d’Esparbès, dévouée créature dont il était indigne et qu’il avait substituée à sa femme, une fille également du roi de Sardaigne. Passé, au mois d’août 1794, de Hamm à Rotterdam, il ne tardait pas, devant le succès des troupes républicaines dont il ne devait toujours faire qu’une bouchée, à filer rapidement avec sa « puante cour » (Idem, p. 47), jusqu’à Osnabrück, puis à Pyrmont et enfin à Bremerwörde.

L’agent le plus actif du régent, l’âme, peut-on dire, de l’émigration à cette époque était le comte d’Antraigues. Ce personnage, après avoir profité des ressources que la Saint-Huberty — une Marguerite Pays qui savait chanter — tirait d’un autre (Madame Saint-Huberty, par Ed. de Goncourt, p. 203), avait fini par l’épouser ; d’Avaray l’appelait « la fleur des drôles » (Forneron, Histoire générale des émigrés t. II, p. 80), tout en lui écrivant : « Le régent se fera un plaisir de donner un témoignage d’estime à des sentiments aussi nobles que ceux que Mme de Saint-Huberty a toujours manifestés » (Id., p. 82), et le régent la décora, en effet, de l’ordre de Saint-Michel. Depuis la fin de 1794, d’Antraigues vivait à Venise d’où, en relation avec les ministres étrangers et les agents secrets, il tenait les fils de la plupart des conspirations royalistes. Il avait, dès juillet 1794, à Paris, en qualité de correspondants,