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pagnie du Soleil ; vraisemblablement que la première fut donnée par de pieux fanatiques qui voulaient égorger au nom de Jésus leurs oppresseurs et ceux de leurs proches ; la seconde signifiait sans doute que c’était en plein jour, à l’éclat du soleil, qu’on tirait une vengeance authentique des crimes commis par les anarchistes ». Enfin Lacretelle jeune (Dix années d’épreuves pendant la Révolution, p. 211) parle des « compagnons de Jésus ».

Ce fut à Lyon que commença l’abjecte série d’atrocités commises par ceux qui traitaient les autres de « buveurs de sang ». On publia une liste des citoyens connus pour leur républicanisme, on ne voulait pas qu’il en restât un seul ; et les jeunes élégants, la fine fleur de l’aristocratie, encouragés par les mondaines au cœur hospitalier et par les dévotes adeptes de l’Évangile, les assommèrent par derrière. « On n’avait jamais vu, a écrit un royaliste, Charles Nodier, tant d’assassins en bas de soie » (Souvenirs, épisodes et portraits pour servir à l’histoire de la Révolution et de l’Empire, t. II, p. 6) ; mais ces honnêtes gens ne négligeaient pas le petit profit personnel et (ibid., p. 4) Nodier avoue : « on tuait, sans doute, un ennemi, un rival, un créancier, quand l’occasion s’en présentait ». Ces beaux messieurs se fatiguèrent bientôt de la mesquinerie de leurs assassinats isolés et résolurent d’opérer en grand. En guise de partie de plaisir, ils organisèrent le massacre des républicains successivement emprisonnés depuis le 9 thermidor. Le 16 floréal an III (5 mai 1795), le signal fut donné au spectacle ; les compagnons de Jésus se divisèrent en trois groupes et chacun d’eux se chargea d’une prison. Dans l’une, les prisonniers eurent l’audace de résister : on mit le feu et on les brûla vivants. Il y eut ce soir-là près de cent victimes. Une douzaine de jeunes gens dont la culpabilité était certaine, ayant été, après beaucoup d’hésitations, traduits devant le tribunal de Roanne, furent acquittés. À leur rentrée à Lyon, les femmes riches et la valetaille de celles-ci leur jetèrent des fleurs (Nougaret, Ibid., p. 450 ; Guillon, Ibid., p. 227) ; le soir, au théâtre, on couronna les immondes lauréats de l’égorgement qui, à ce prix, pouvaient et allaient continuer.

Leur exemple avait, du reste, été vite suivi. Les compagnons du Soleil, de Marseille, purent, sans être arrêtés, alors que les représentants en mission, les Cidroy, les Isnard et les Chambon, disposaient de cavalerie, se rendre à pied à Aix où, le soir du 21 floréal (10 mai), ils massacraient vingt-neuf républicains marseillais amenés pour être jugés à la suite des événements du 5 vendémiaire-26 septembre (voir fin du chap. ii). Ce fut, de leur part, « l’effet d’une trop excusable impatience », d’après une proclamation de Chambon lue au conseil des Cinq-Cents le 17 frimaire an IV-8 décembre 1795 (Moniteur du 24-15 décembre). Ils recommencèrent bientôt et firent quarante-deux victimes ; à leur arrivée à la prison, une femme allaitait un enfant de quatre mois, on le lui arracha, on le foula aux pieds, on tua la mère d’un coup de pistolet, on coupa son corps en morceaux et, plus tard, un des