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de dictature éternelle faisant violence, dans l’intérêt du peuple, à son incurable ignorance. La vraie pensée de Robespierre, c’est que la Révolution ne pouvait être sauvée que par la force d’un gouvernement révolutionnaire, s’appuyant à la Convention, mais réalisant la concentration de toutes les forces de combat. Dissoudre ou affaiblir la Convention, dissoudre ou affaiblir le Comité de Salut public est donc un crime inexpiable contre la Révolution : c’est la livrer à l’anarchie, c’est-à-dire à l’ennemi.

Or, pendant que le Comité de Salut public s’organise, travaille, combat, écrase le fédéralisme et le royalisme, refoule la coalition, il est sans cesse guetté par l’intrigue, menacé par les factions ; et il se demande parfois si, après avoir échappé à l’anarchie girondine, la Révolution ne succombera pas à l’anarchie démagogique.

Voilà le drame poignant qui, de septembre 1793 à mai 1794, bouleversa la conscience révolutionnaire, et qui torture Robespierre jusqu’à la maladie, jusqu’à l’épuisement.

C’est le groupe des hébertistes qui tente de discréditer d’abord sournoisement, puis de renverser violemment le Comité de Salut public. C’est le groupe d’hommes dont Hébert semblait le chef, mais qui se recrutait surtout parmi les agents révolutionnaires du ministère de la guerre. Les bureaux de la guerre, la plus grande partie du club des Cordeliers, une partie de la Commune, voilà les forces dont pouvait disposer Hébert pour attaquer et ruiner le Comité de Salut public.

Que lui reprochaient donc ces hommes ? Quel grief Hébert, Ronsin, Vincent pouvaient-ils opposer au Comité de Salut public ? et quel plan d’action nationale et révolutionnaire pouvaient-ils substituer au sien ?

Pouvaient-ils l’accuser de négligence, de paresse ou de lâcheté dans l’administration de la France en péril ? Le Comité de Salut public suffisait, à force d’énergie, à une besogne écrasante. Tout le long du jour, chacun des membres du Comité travaillait avec ses bureaux, et le soir, réunis dans une petite salle, ils délibéraient sur la marche commune du gouvernement, parfois jusqu’à deux heures du matin. Il s’était fait entre eux une sorte de partage d’attributions.

Robespierre, Saint-Just, Couthon, étaient ce que le peuple appelait « les gens de la haute main », c’est-à-dire ceux qui surveillaient la politique générale de la Révolution. Barère, Billaud-Varennes, Collot d’Herbois étaient chargés surtout de la correspondance avec les représentants en mission, avec les autorités constituées de la Révolution, et des rapports à la Convention nationale. Enfin, il y avait le groupe des « gens d’examen » ; c’étaient les spécialistes, Carnot et Prieur ; qui s’occupaient de l’armée et de l’administration militaire, Jean Bon Saint-André de la marine, Robert Lindet qui, d’un labeur immense, veillait à l’approvisionnement de la France, de Paris, des armées. C’était tous les jours un détail infini : c’était aussi une responsabilité écra-