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testaments faits depuis cette époque et où l’égalité des partages n’a pas été rigoureusement observée, tous ceux où la donation a excédé la quotité disponible du sixième ou du dixième sont déclarés nuls. Il faut que les héritiers ou les donataires abusivement favorisés rapportent à la masse de la succession ce qu’ils ont perçu en trop, et que les héritiers ou enfants dépouillés rentrent en possession. Quelle aubaine pour les cadets révolutionnaires ! La Convention ne maintient que les donations faites au profit des pauvres « des domestiques peu fortunés », des personnes dont la fortune ne dépasse pas dix mille francs. C’est vraiment une révolution d’égalité dans le droit Civil successoral. Et tous les délégués présents à Paris vont rapporter à leurs assemblées primaires l’impression toute vive de ce grand acte. C’est bientôt, c’est en décembre que le projet deviendra loi, et il suscitera dans toute une partie de la bourgeoisie un enthousiasme et une énergie extraordinaires. Vraiment, la Révolution n’oublie pas les siens.

Mais cette Révolution grandiose et bienfaisante, il faut la défendre, il faut la sauver. Et, puisque le monde est conjuré contre elle, il faut qu’elle-même devienne un monde par le soulèvement de toutes ses forces. Le 12 août, les délégués des assemblées primaires proposent à la Convention l’idée de la levée en masse, mais confuse et étrangement enveloppée dans une sorte de réquisition militaire des suspects.

« Nous demandons que tous les hommes suspects soient mis en état d’arrestation ; qu’ils soient précipités aux frontières, suivis de la masse terrible des sans-culottes ; là, au premier rang, ils combattront pour la liberté qu’ils outragent depuis quatre ans, ou ils seront immolés par le canon des tyrans. »

Danton, en ces jours anniversaires du 10 août 1792, retrouve sa magnifique tactique révolutionnaire, qui est d’animer tout ensemble et d’épurer l’énergie nationale. Il dégage de la motion des délégués ce qu’elle a de sacré et de grand. Oui, qu’on arrête les suspects, mais à la condition d’arrêter les chefs, les vrais coupables et de ne pas étendre le soupçon et la colère sur de pauvres gens égarés. Mais surtout que toute la nation se mobilise. Et que les délégués des assemblées primaires soient chargés d’aller, dans leurs cantons, dans leurs communes, animer les citoyens au combat, prêcher et organiser la levée en masse.

Le 16 août, Barère apportait, au nom du Comité de Salut public, le décret célèbre qui proclamait tout à la fois la nouvelle tactique militaire de la Révolution, l’offensive des grandes masses, et réglait, par réquisitions successives, la levée de tous les citoyens. Oui, ainsi appelée, ainsi organisée, ainsi exploitée par la Révolution en toutes ses forces, en toutes ses richesses de patriotisme, de vigueur, de courage et de génie, la France valait un monde. Elle valait plus que le monde de la coalition. Les autres gouvernements et les autres peuples ne mettaient au jeu terrible qu’une partie d’eux-mêmes.