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soit qu’elle réprimât. Enfin, les chefs de la Commune avaient des ambitions vastes.

Dutard écrit à Garat, en juin, que Chaumette espère se former un grand parti des Jacobins et des Cordeliers réunis.

Hébert, servi par son journal, rêve aussi d’une popularité vaste et d’un vaste pouvoir. Mais les doctrines violentes de Jacques Roux, si elles peuvent passionner une partie des ouvriers et des artisans, inquiètent toute la petite bourgeoisie marchande. Il a beau distinguer le « négoce » du « commerce » ; les détaillants, les boutiquiers ont peur d’être enveloppés dans la haine que le peuple porte aux accapareurs. Paris est une ville de petit commerce. Comment devenir maître de Paris et par lui de la France si l’on effraie les petits marchands ? L’ambition éveillée aiguise en Hébert le sens de la vie économique. Écoutez-le, réfutant ou croyant réfuter les doctrines de Jacques Roux. Comme il rabroue, en juin et juillet, ceux qui dénoncent au peuple les accapareurs (no 252) :

« Mais ces accapareurs, où sont-ils ? Est-ce à Paris ? Non, foutre, mais dans les grandes villes de commerce. C’est là, foutre, qu’il faut aller les chercher, et non pas à Paris, où il n’existe que des détaillants. Les millionnaires de Bordeaux et de Marseille se foutent bien que l’on pille un de leurs bateaux sur la Seine, quand leurs magasins et leurs vaisseaux regorgent de marchandises.

« Ah ! foutre, si la Convention avait toujours marché comme à présent, si elle n’avait pas souffert aussi longtemps dans son sein une poignée de coquins qui mettaient des bâtons dans les roues, elle aurait fait de très bonnes lois pour protéger le faible contre le fort, le pauvre contre le riche, et déjà nous recueillerions les fruits de la révolution… Ce n’est pas dans le moment qu’on calomnie les patriotes, lorsqu’on veut faire marcher contre eux les bataillons du Calvados, du Finistère et de la Gironde, qu’ils se livreront au moindre excès. Ils savent que leur salut et le salut de la République dépendent de la conduite qu’ils vont tenir et ils ne gâteront point leur cause. »

Donc, que Jacques Roux, et Leclerc, et Varlet et toute la séquelle importune des Enragés s’en aillent au loin, qu’ils purgent la ville de Paris où ils n’ont que faire, et qu’ils aillent travailler de leur étal dans les grands ports : qu’ils aillent piller, s’il leur plaît, les vaisseaux signalés dans le port de Marseille, dans celui de Bordeaux ou dans celui de Nantes : ou, s’ils ont un goût trop vif pour les opérations sur le sucre, qu’ils descendent jusqu’au Havre. Quels fâcheux que ces hommes qui animent encore à l’émeute et qui rêvent de coups de main quand il est si facile à Hébert, par la puissance de son journal aux échos innombrables et grossiers, par son influence pénétrante au ministère de la Guerre, d’accroître peu à peu son pouvoir et l’action du peuple ! Ainsi Hébert se faisait, à côté de Robespierre et contre les