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n’est que dans l’anarchie qu’ils peuvent trouver la vengeance après laquelle ils soupirent, ou le despotisme qui leur rendra les biens qu’ils regrettent et les hochets qu’ils pleurent. Il faut donc que vous fassiez à l’égard des propriétés une déclaration franche et solennelle qui déjoue les manœuvres des uns et des autres, et qui dissipe toutes les alarmes…

« … Si je ne croyais insensés les hommes qui, sans savoir ce qu’ils disent, parlent de la loi agraire, je parlerais d’une mesure que vous avez souvent employée en pareille circonstance. Ce serait de porter une peine capitale contre ces hommes qui prêchent une loi subversive de tout ordre social, impraticable, et qui, par la destruction de toute ressource industrielle, tournerait à la perte de ceux-là mêmes qui croiraient pouvoir s’y enrichir. Je propose la peine…

« — Plusieurs membres sur la Montagne, et après eux l’Assemblée tout entière : la peine de mort !

« Marat. — Point de décret d’enthousiasme !

« Barère. — Certes, s’il est un mouvement qui ne puisse être trop rapide pour honorer la Convention, pour sauver la patrie, c’est celui qui vient d’avoir lieu. Si vous avez décrète par une acclamation semblable la peine de mort contre quiconque proposerait le rétablissement de la royauté, la force du sentiment a bien pu provoquer le même enthousiasme lorsqu’il s’agit de prévenir la subversion de la société. Oui, je crois que vous avez trouvé un grand moyen de tranquillité publique, qui fera cesser à l’instant les alarmes des citoyens, qui augmentera la richesse nationale, et doublera vos ressources contre vos ennemis ; car vous n’existerez, la République ne sera basée que sur les biens nationaux. Or, comment les vendrez-vous, si vous ne rassurez les propriétaires ? Comment intéresserez-vous les riches au sort de votre République, si vous ne les engagez à porter leurs capitaux sur cette terre nationale ? Je propose donc la peine de mort contre quiconque proposera la loi agraire.

Levasseur complète et modernise la formule :

« La loi agraire, dit-il, était chez les Romains le partage des terres conquises ; ici, il ne s’agit point de cela, il s’agit du partage des biens. »

Ainsi, la Convention adopte :

« La Convention nationale décrète la peine de mort contre quiconque proposera une loi agraire ou toute autre, subversive des propriétés territoriales, commerciales et industrielles. »

Cela tombait droit sur Babeuf, sur tout son système et sur les expressions mêmes dont il se servait pour le caractériser. Non, l’heure n’est pas venue pour lui, ni pour ceux qui comme lui étaient, selon le mot de Buonarotti, les amis de l’égalité et de la justice, de se livrer à des manifestations doctrinales. Deux fois terrible est la loi de la Convention, d’abord parce qu’elle frappe de la peine de mort, et ensuite, parce qu’après la parole de Barère il semble que