Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/622

Cette page a été validée par deux contributeurs.

conscience plus nette, dans cette opposition même, de ce qu’il y avait d’essentiel et de décisif dans sa propre pensée ; mais tous disaient que la Révolution saurait faire sa gerbe sur toute l’étendue du champ non encore divisé. Même dans les jours tragiques qui annonçaient et préparaient la catastrophe, il y avait des trêves soudaines ; et quand on délibérait sur la Constitution, Vergniaud et Danton se rencontraient sur les mêmes hauteurs. Ceux qui allaient être frappés mettaient une sorte de coquetterie sublime à se rattacher par leurs pensées les plus nobles à cette Révolution, d’où la colère brutale du peuple semblait vouloir les retrancher. Et ceux qui allaient frapper se plaisaient à constater entre eux et ceux-là mêmes qu’ils croyaient devoir sacrifier à l’intérêt public je ne sais quelle douloureuse identité des pensées essentielles, comme pour légitimer de leur propre souffrance le coup qu’ils allaient porter. La Convention pourra se décimer elle-même, toujours elle gardera ce large patrimoine initial qu’elle constitua au début avec toutes les richesses de tous les esprits.

Lepelletier de Saint-Fargeau ouvre l’exposé de son plan d’éducation nationale par ces mots :

« La Convention nationale doit trois monuments à l’histoire : la Constitution, le Code des lois civiles, l’Éducation publique. »

Or, dès les premiers mois, le dessin de ces monuments était tracé à grands traits, et des parties de l’édifice s’élevaient déjà.

Dans les questions relatives à l’instruction et à l’éducation publiques, c’est le plan de Condorcet légué à la Convention par la Législative, qui semble d’abord le rendez-vous des esprits. Il est tout au moins le point central autour duquel s’engage la bataille des idées. Il est critiqué par ceux qui trouvent qu’il abonde trop dans le sens de l’Encyclopédie, qu’il est trop complaisant aux lumières du siècle. Ceux-là, comme le janséniste Durand-Maillane, combinant une sorte d’ascétisme intellectuel avec les paradoxes de Jean-Jacques, et le rigorisme chrétien avec ce qu’on a appelé le piétisme démocratique, protestent au nom des mœurs et au nom de l’égalité contre des systèmes d’instruction trop mondains et trop ambitieux, qui risquent de compromettre dans le peuple l’innocence de la pensée et de la vie, et de créer au-dessus du peuple une oligarchie de savants orgueilleux et égoïstes.

Robespierre, frère cadet du Vicaire Savoyard, avait-il quelque tendresse pour ces doctrines d’abnégation et de restriction intellectuelle ? Estimait-il que, dans l’ordre du savoir aussi, il n’était pas bon d’avoir plus de trois mille livres de revenu et qu’une honnête ignorance était le complément démocratique d’une honnête pauvreté ?

Ce serait, je crois, forcer singulièrement sa pensée ; et je note que bientôt, quand il adoptera, quand il présentera à la Convention le projet de Lepelletier, il l’adoptera tout entier, c’est-à-dire avec la haute science qui en est le sommet comme avec l’égalité quasi communiste qui en est la base. Les