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pas, car il restera toujours dans le cœur des Français ce sentiment que l’insurrection est la dernière raison du peuple. »

Bentabole fut applaudi. Le large flot des Cordeliers, mêlé de colères politiques et sociales, débordait sur les Jacobins et submergeait un moment les hésitations, les scrupules de légalité des « Amis de la Constitution ».

C’est le même jour, 19 mai, qu’eut lieu à la mairie une réunion des délégués de 36 ou 37 comités révolutionnaires. Deux administrateurs de police, Marino et Michel, y firent une motion romanesque et meurtrière. Ils proposaient d’enlever secrètement les vingt-deux Girondins désignés par la pétition de Paris, de les égorger, et de répandre ensuite le bruit qu’ils avaient émigré.

C’était insensé, et seule la fièvre de la Révolution dans un cerveau de police pouvait suggérer des combinaisons aussi puériles tout ensemble et aussi atroces. Cela ne répondait pas du tout aux vues de la Commune. Quelques jours auparavant, le 14 mai, le Conseil de la Commune avait arrêté, sur la proposition de Chaumette, qu’il serait « écrit aux autorités constituées, aux sociétés populaires et aux sections de Bordeaux pour leur représenter l’erreur dans laquelle les ont jetés les malveillants qui leur font croire que Paris veut assassiner les députés de la Gironde, tandis qu’il ne veut assassiner que leurs opinions. »

Mais l’assassinat des opinions ne suffisait pas à Marino et à Michel, et, avec une logique toute policière, ils voulaient le compléter par l’assassinat des personnes. Pache, présent à la réunion, protesta avec force contre cette sorte de projets. Mais les délégués de la section de la Fraternité, inspirés sans doute par Royer-Collard, en avisèrent la Convention ; et ce fut pour la Commission des Douze une occasion admirable d’accentuer l’offensive.

C’est par cette « conspiration » de l’assemblée de la mairie, que Viger, le 24 mai, au nom de la Commission des Douze, justifie un décret très vif contre ce que Dutard appelait le fédéralisme des sections :

« Je déclare, sous la responsabilité des membres de la Commission, que si nous ne démontrons pas à la France qu’il a existé une Conspiration tendant à faire égorger plusieurs d’entre vous et à établir sur les ruines de la République le despotisme le plus horrible et le plus avilissant ; oui, si nous n’apportons pas les preuves de l’existence de ces conspirations, nous sommes prêts à porter nos têtes sur l’échafaud. Nous sommes dégagés de tout esprit de parti, nous n’avons pas regardé si les conspirateurs siègent là ou là ; nous avons cherché la vérité. Nous tenons déjà plusieurs fils de la conspiration, nous espérons les tenir tous bientôt. Nous aurons de grandes mesures à vous proposer ; mais nous vous soumettons, comme mesure préliminaire, le projet de décret suivant :