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pris Mirabeau, c’est de l’avoir méprisé, c’est de n’avoir vu dans les admirables consultations politiques où il essayait de lui faire comprendre la Révolution, que la besogne misérable d’un aventurier aux abois. Ce crime de l’esprit et du cœur, ce crime de médiocrité et de bassesse, Louis XVI le paye terriblement à cette heure. Parce qu’il s’est refusé à penser avec le grand homme qui tentait d’harmoniser la Révolution et la royauté renouvelée, Louis XVI paraît devant la Convention sans une idée.

Il n’a rien à dire aux événements et aux hommes ; et il ne recevra quelque grandeur que de la mort, c’est-à-dire de ses ennemis. Que de choses pourtant il aurait pu opposer à ses juges, s’il avait appliqué au procès la grande philosophie politique que Mirabeau lui avait léguée !

« Vous voulez me juger, et sans doute vous me frapperez demain. Je ne crains pas la mort, et je ne viens pas vous disputer ma tête. L’histoire m’a appris que la mort des rois apparaît aux peuples comme la solution des crises terribles.

« Je ne vous contesterai donc pas le droit de me juger. Vous êtes la force, comme j’étais la force ; vous êtes les maîtres aujourd’hui comme j’étais le maître hier ; et si le peuple que vous représentez avait le droit d’envahir les Tuileries au 20 juin et au 10 août, s’il avait le droit de suspendre mes fonctions de roi, d’abolir la royauté, de proclamer la République, et de m’enfermer au Temple, il a aussi le droit de m’arracher la vie et de donner à l’exécution capitale qu’il prépare une apparence de jugement. Mais pourquoi suis-je ici ? et d’où vient le conflit qui m’amène, moi le roi d’hier, devant les représentants révolutionnaires de la nation ? C’est moi, moi seul, que vous accusez. C’est à moi seul, c’est à ce que vous appelez mes trahisons, que vous imputez la responsabilité des agitations dont souffre la France. Et c’est sur la tête d’un seul homme que vous faites porter le poids d’événements immenses. Prenez garde, vous qui vous croyez républicains ! penser ainsi, c’est être encore monarchiste, car s’il est vrai qu’un seul homme détermine, en bien ou en mal, la marche de l’histoire, le droit de la royauté est fondé. La nation accusatrice d’un côté, et un individu accusé de l’autre : c’est la monarchie retournée, mais c’est encore la monarchie. Et moi qui devrais avoir de la puissance des rois une plus haute idée que celle que vous en avez vous-mêmes, je vous dis qu’en résumant sur la tête d’un seul homme la responsabilité d’une crise aussi vaste et d’un conflit aussi profond, vous cédez, plus qu’il n’est raisonnable, au prestige séculaire de la royauté.

« Le passage de la monarchie absolue que je représentais à la démocratie extrême que vous voulez fonder ne va pas sans difficultés et sans périls. Ce n’est pas ma faute si depuis des siècles il n’y avait pas en France des institutions de liberté et si tout le pouvoir était concentré aux mains des rois. Ce n’est même pas la faute de mes ancêtres.

« Croyez-vous que c’est la volonté seule des rois qui, en France et en