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C’est en mai 1793 que cette tendance positive et réaliste de la démocratie parisienne commença à s’affirmer, et c’est avec la double force de l’idéal et de l’âpre appétit immédiat que les sans-culottes luttent pour balayer des sections les influences envahissantes du modérantisme. Ils étaient admirablement outillés pour cela. Ils avaient mis dès longtemps la main sur le mécanisme des sections : ils avaient occupé tous les postes d’influence, et si, un moment, ils les perdaient, il leur était aussi beaucoup plus aisé de les conquérir. Dans son rapport du 14 mars, Dutard dit à Garat :

« Dans presque toutes les sections ce sont les sans-culottes qui occupent les comités de surveillance ; ce sont eux aussi qui occupent le fauteuil, qui ordonnent l’intérieur de la salle, qui disposent les sentinelles, qui établissent les censeurs et réviseurs. Cinq ou six espions, habitués de la section, soldés à 40 sous, y sont depuis le commencement jusqu’à la fin de la séance, ce sont des hommes à tout entreprendre. »

Ainsi, il fallait que les modérés, quand ils se portaient aux sections, ou subissent ces cadres formés avant eux, ou perdissent une partie de leur temps et de leur énergie à les briser. Comme ils connaissaient mal le personnel dirigeant des sections, ils hésitaient à exclure des hommes qu’ils n’avaient pas encore vus à l’œuvre, et le plus souvent, ils étaient comme pris dans un réseau administratif révolutionnaire qu’ils ne pouvaient rompre.

Mais, de plus, les sans-culottes des sections imaginèrent, là où ils étaient en minorité trop évidente, un expédient très subtil : celui du groupement des sections. Les modérés n’avaient-ils pas répété à satiété que chaque section n’était, en effet, qu’une section, c’est-à-dire une parcelle de la souveraineté ? Si donc on groupait pour délibérer plusieurs sections, on se rapprochait de la souveraineté complète, on faisait apparaître plus largement la volonté du peuple. Dès lors, quand les sans-culottes d’une section étaient débordés, ils appelaient à leur aide, sous prétexte de « réunion », les sans culottes des sections voisines. De même qu’en 1789 les communes formèrent des fédérations pour résister aux hommes d’ancien régime, de même il y a aujourd’hui, contre le modérantisme, des « fédérations de sections ». Dutard écrit le 6 mai :

La section des Halles a arrêté que lorsque les sans-culottes n’y seraient pas en force, ils l’abandonneraient et iraient se joindre aux sans-culottes d’une autre section. Il est remarquable que cette section a été l’une des plus enragées pendant toute la Révolution. »

Le 13 mai : « Il s’est élevé une grande querelle au Contrat-Social ; les modérés s’y sont trouvés en force, et ont demandé que le comité de surveillance fût tenu de faire à l’assemblée générale, deux fois la semaine, le rapport de ses opérations. Qu’ont fait les sans-culottes, que dis-je, les enragés ? Se voyant en minorité, ils se sont portés à la section Mauconseil pour y demander du secours. La section Mauconseil a levé sa séance, et ils se sont