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dain par grandes masses et se précipitaient sur les troupes républicaines d’un tel élan et d’une telle force qu’ils parvenaient à enlever des canons, et qu’ils s’outillaient peu à peu aux dépens de la Révolution elle-même. Et sur les canons qu’ils avaient pris, sur Marie-Jeanne, sur le Missionnaire, ils clouaient des crucifix comme pour ajouter à la trompeuse efficacité des forces naturelles je ne sais quelle puissance de chrétienne sorcellerie. Or les premiers généraux envoyés là-bas, soldats de carrière qui servaient la Révolution, honnêtement, comme ils auraient continué à servir la monarchie, n’avaient pas le sens des grandes forces élémentaires, pas plus de la force catholique que de la force révolutionnaire. Pour mener à ces combats pleins de hasard des recrues encore incertaines, il aurait fallu les passionner, les exalter, et les chefs n’étaient guère que de bons tacticiens d’ancien régime.

Quand on signala à Marcé l’approche des bandes paysannes, il hésita, se demandant si ce n’étaient point des forces patriotes qui s’avançaient ; il immobilisa sa troupe et bientôt, surpris par des forces supérieures, se retira en désordre. Si Quétineau évacua Bressuire et, le 5 mai, livra Thouars presque sans combat, ce n’est ni par félonie ni par lâcheté, mais enveloppé et menacé soudain par toute une armée là où il croyait n’avoir affaire qu’à quelques bandes, il crut qu’il n’avait pas le droit de risquer sa troupe, et peut-être dans une guerre ordinaire aurait-il eu raison. Mais dans le combat terrible qui était engagé, et d’où dépendait l’avenir du monde, toute défaillance, même honnête, était un crime. Plutôt que d’accepter que les autorités locales de Thouars arborent le drapeau blanc, Quétineau aurait dû lutter jusqu’au dernier souffle, jusqu’au dernier homme. Mais il ne comprenait pas, et au loin, à Paris, là où les cœurs brûlaient au centre même du foyer, ces faiblesses étaient interprétées comme des trahisons. Traîtres aussi ceux qui, dans la Convention même, en dissimulant d’abord le péril, en attiédissant la flamme révolutionnaire, en criant à l’anarchie, à la tyrannie et au scandale dès que la Commune de Paris prenait une décision un peu vigoureuse, avaient livré à l’ennemi la Révolution incohérente et incertaine.

Ainsi, dans les sections tumultueuses où se heurtaient les sans-culottes et les culottes dorées, le parti du mouvement, de l’action, de la lutte forcenée et fanatique transformait tous les soirs en arguments d’une force croissante les défaites répétées de la Révolution en Vendée.

À Lyon, habitué à vivre sous la discipline de sa grande industrie, et qui ne recevait pas d’emblée, en plein cœur, comme Paris, toutes les commotions de la patrie en péril, les nouvelles de Vendée encourageaient au contraire vaguement les modérés ; ils y voyaient une première leçon infligée à l’outrance révolutionnaire. Mais à Paris le péril aigu de la liberté et de la patrie entrait dans les âmes comme une pointe de feu, et sous cet aiguillon ardent la Révolution se soulevait.

Qui allait vaincre dans Paris, dans les sections ? Un moment on put