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contraire, Marat, comme on s’en souvient, avait toujours combattu l’assignat. Il avait fait un crime à Mirabeau d’en avoir étendu et systématisé l’emploi. Et malgré son admiration de fraîche date pour Cambon, il voulait en réalité détruire l’assignat.

« Les fléaux qui nous désolent (1er mars 1793) sont d’abord la misère qui ne fera qu’aller en augmentant. La cause en est dans cette masse énorme d’assignats dont la valeur diminue toujours avec leur multiplicité, autant que par leur contrefaction ; et leur diminution de valeur entraîne nécessairement l’augmentation du prix des denrées. Elles sont déjà parvenues à un prix exorbitant ; bientôt elles seront portées à un prix si haut qu’il sera impossible aux classes indigentes d’y atteindre ; ces classes sont les deux tiers de la nation ; attendez-vous donc à voir éclater les plus affreux désordres, et peut-être le renversement de tout gouvernement, car un peuple affamé ne connaît point de lois, la première de toutes est de chercher à vivre. Il y a trois ans que j’ai prévu tous ces désordres, et que n’ai-je pas fait pour m’opposer au système des assignats et surtout des assignats de petite valeur ? Ce n’est point par de petits expédients qu’on parviendra à remédier aux malheureuses suites de ce système qui nous menacent, mais par une grande mesure, la seule efficace, celle que je proposai dans le temps, c’est d’anéantir la dette publique, en payant sans délai les créanciers de l’État, chacun avec un bon national, du montant de sa créance, et en le recevant en payement des biens nationaux ; au lieu de mettre en émission une énorme quantité de papier-monnaie forcé, dont le moindre inconvénient est le discrédit qu’entraîne toujours le défaut de confiance qui en est inséparable. Cette mesure eût produit six grands biens à la fois : Par là on aurait diminué tout à coup la masse des impôts de toute celle des intérêts de la dette publique, et on eût soulagé d’autant le peuple. Par là, on aurait obvié à l’accaparement du numéraire, conséquemment à l’augmentation du prix des denrées, et on eût soulagé d’autant le peuple. Par là on aurait évité les frais énormes de fabrication et de gestion des assignats, et on eût soulagé d’autant le peuple. Par là on aurait empêché toutes les dilapidations des agents royaux, les spéculations des agioteurs du trésor national, et on eût soulagé d’autant le peuple. Par là on aurait prévu la contrefaction des assignats, et au dedans et au dehors, avec lesquels l’étranger nous enlève, en pure perte, toutes les productions de notre sol et de nos manufactures, ce qui écrase le commerce, l’industrie et le peuple. Par là enfin on aurait accéléré la vente des biens nationaux, attaché les nouveaux propriétaires à la patrie et cimenté la révolution. Mon plan pourrait s’exécuter encore en partie, et le bien qui en résulterait serait incalculable. Je l’aurais déjà proposé à la tribune de la Convention si je n’avais la certitude de le voir repoussé par les ennemis du peuple et les fripons intéressés au maintien des abus. Au demeurant, j’invite les amis du bien public à me représenter, et à le faire adopter s’ils le peuvent. »