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Peut-être la crainte exagérait-elle le péril. Mais cette inquiétude même des révolutionnaires atteste qu’en effet il y avait à Lyon un sous-sol effrayant et obscur de contre-révolution.

Delcher et Salicetti ajoutent : « On nous a affirmé qu’il a été crié : Vive Louis XVII ! Le fait peut être contraire, mais l’esprit public, qui accueille avec indifférence une pareille profanation de la liberté, est fort remarquable. »

Pour surprendre et briser cette sorte de conspiration diffuse et expectante, mais singulièrement dangereuse, il eût fallu un pouvoir actif et énergique. Or, parmi les Girondins de Lyon, les meilleurs, ceux qui étaient le plus noblement enthousiastes de liberté, ceux qui rêvaient le plus généreusement, selon une tendance du génie lyonnais, de faire œuvre d’éducation populaire, d’exercer une sorte de patronage moral sur la classe ouvrière et de l’élever à la pratique du régime nouveau, étaient incapables d’action. Le contre-révolutionnaire Guillon, dans l’histoire prodigieusement partiale, mais très documentée, qu’il publia en 1797, parle avec colère et dédain d’une sorte d’institut populaire organisé par eux.

« Pour parvenir à son but, cette faction (les rolandistes) s’était emparée de l’instruction publique. Des discoureurs girondins de la société de Pélata, installés sous le titre de professeurs dans ce grand collège, autrefois illustré par ses maîtres et ses élèves, enseignaient aux gens du bas peuple à devenir des hommes d’État ou des philosophes. Le médecin Gilibert, le président Froissart y faisaient les plus ridicules cours de politique et de morale qu’il soit possible d’imaginer. Gilibert y professait, fort à propos, que la souveraineté du peuple n’existait plus que dans ses représentants, et Froissart le moraliste donnait des leçons d’amour conjugal. Nous ne dirons rien des autres professeurs qu’une imagination ardente, une ambition de philosophisme ou la plus famélique complaisance faisaient marcher sur la trace de ces deux principaux instituteurs des sans-culottes. »

Ces « instituteurs » adressaient parfois au peuple des appels qui n’étaient pas sans hardiesse. Ils répudiaient le feuillantisme et l’esprit d’aristocratie. Et Guillon parle avec irritation et ironie des « flagorneries » que Gilibert prodigua aux sans-culottes, le 3 février, dans un éloge de Michel Lepelletier.

« Qu’étaient nos ci-devant échevins ? s’écria Gilibert. Leur chaise curule était d’or massif et ils y dormaient. J’invite les ouvriers que l’orgueil de l’aristocratie avait jetés dans la poussière de l’obscurité et la léthargie de l’ignorance, à fréquenter nos sociétés populaires, à suivre assidûment notre cours de politique et de morale, et je réponds de leur rapide progrès dans la science du gouvernement. — Le peuple est bon, invariablement juste. Ses erreurs sont des éclairs, des bulles de savon. Il est perfectible et rien ne l’empêche d’aspirer aux grandes places. »

Mais tout cela, jeté dans la tourmente, n’était que pédantisme, et les ré-