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de la lutte décisive contre la Gironde qu’il attendait un élargissement, d’influence ; et il trouvait très imprudent, sans doute, et bien sot le prêtre qui, du fond de son quartier obscur, semblait à ce moment lancer un défi aux Jacobins et à la Montagne. Hébert en sa barque dansante et bariolée de couleurs criardes, se laissait porter par le vaste flot ; Jacques Roux, au contraire, semblait isolé à ce moment sur un roc sombre, et de tous côtés battu par les vagues.

Entre les conceptions d’Hébert et celles de Jacques Roux il n’y avait qu’une analogie superficielle. Ce n’est pas que Jacques Roux fût un penseur profond. On le diminuerait à coup sûr en réduisant sa politique à une politique de pillage. La journée du 25 février n’était, à ses yeux, qu’un avertissement pour obtenir des lois. Mais à prendre sa doctrine même, ce perpétuel anathème contre le monopole, l’accaparement, l’agiotage, comme elle est frivole et inconsistante ! Où finit le commerce licite ? Où commence l’accaparement ? Ou bien on frappera les marchands à l’aveugle, et ce sera la ruine générale. Ou bien on essaiera de contrôler leurs opérations. Mais si ce contrôle est léger, il sera inefficace. S’il est profond, continu, ce sera, en réalité, le contrôleur, l’État, la municipalité, qui dirigera les opérations commerciales ; et la propriété privée est absorbée, de fait, par la communauté. Quand donc Varlet et Jacques Roux assurent qu’ils veulent maintenir la propriété, même « la grande propriété », et quand ils demandent en même temps que l’accaparement et le monopole soient poursuivis à fond, ils se perdent dans l’incohérence. Michelet, dans le mot que j’ai cité, voit là un germe de babouvisme. Ni Jacques Roux, ni Varlet n’étaient personnellement sur le chemin du communisme : ils n’avaient pas l’ampleur d’esprit de Babeuf. Et si leur doctrine prépara le communisme, ce fut par sa contradiction même et par son impuissance.

Babeuf s’appuiera surtout sur les ouvriers des manufactures ; quand il fondera son club, ce sera au Panthéon, en un point d’où il dominait à la fois le quartier Saint-Marcel avec ses tanneries, le quartier Saint-Antoine avec ses nombreux et puissants ateliers. Les Gravilliers sont, au contraire, un centre d’artisans, de petits industriels ; et cette petite bourgeoisie obscure n’eût guère compris la grande idée de la propriété et de la production communes. Elle s’irritait, au contraire, contre le développement capitaliste qui la menaçait de toute part. La Révolution, qui suscitait les vastes entreprises, était pour elle une déception. Quoi ! on n’aura exproprié les couvents que pour y installer, ou des magasins immenses, ou de vastes manufactures qui font une concurrence ruineuse ou au boutiquier infime ou au modeste artisan !

Le journal les Révolutions de Paris, déduisant les funestes effets de la journée du 25 février, dit :

« Plusieurs maisons de commerce hollandaises, anglaises, américaines, se proposaient de transporter leurs pénates à Paris, pour y jouir de toutes les