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mières qui servent au blanchissage sont montées d’un tel degré que bientôt la classe du peuple la moins fortunée sera hors d’état de se procurer du linge blanc, dont elle ne peut absolument se passer. Ce n’est pas la denrée qui manque, elle est abondante : c’est l’accaparement et l’agiotage qui la font enchérir. Ainsi, le savon qui autrefois coûtait 14 sous la livre, revient aujourd’hui à 22 sous ; quelle différence !

« Législateurs, vous avez fait tomber sous le glaive des lois la tête du tyran ; que le glaive des lois s’appesantisse sur la tête de ces sangsues publiques, sur ces hommes qui se disent perpétuellement les amis du peuple et qui ne le caressent que pour mieux l’étouffer. Nous demandons la peine de mort contre les accapareurs et les agioteurs. »

C’est l’écho tout vif des prédications de Jacques Roux. Le même jour, des citoyennes de la Société fraternelle, séant aux Jacobins, renouvellent les protestations contre le trafic de l’argent :

« Elles exposent que, dans le moment où elles ont le regret de voir partir leurs maris, leurs parents sur les frontières, elles sont effrayées des manœuvres des accapareurs. C’est pourquoi elles viennent demander le rapport du décret de l’Assemblée Constituante qui déclare l’argent marchandise. Elles pensent que c’est là le seul moyen de tarir tous leurs maux. »

C’était le prélude du mouvement du lendemain. Dans tout Paris, des citoyens et des citoyennes se portent aux boutiques et obligent les marchands à livrer la chandelle, le savon, le sucre à un prix réduit, fixé par les acheteurs eux-mêmes. Par une singulière coïncidence, qui a faussé pour beaucoup d’historiens le sens de cette journée, Marat fit paraître, le matin même du 25 février, un violent article qui semblait conseiller le pillage :

« Il est incontestable que les capitalistes, les agioteurs, les monopoleurs, les marchands de luxe, les suppôts de la chicane, les robins, les ex-nobles, etc., sont tous, à quelques-uns près, des suppôts de l’ancien régime, qui regrettent les abus dont ils profitaient pour s’enrichir des dépouilles publiques. Comment donc concourraient-ils de bonne foi à l’établissement du règne de la liberté et de l’égalité ? Dans l’impossibilité de changer leur cœur, vu la vanité des moyens employés jusqu’à ce jour pour les ramener au devoir, et désespérant de voir le législateur prendre de grandes mesures pour les y forcer, je ne vois que la destruction totale de cette engeance maudite qui puisse rendre la tranquillité à l’État, qu’ils ne cesseront point de travailler tant qu’ils seront sur pied. Aujourd’hui, ils redoublent de zèle pour désoler le peuple par la hausse exorbitante du prix des denrées de première nécessité et la crainte de la famine.

« En attendant que la nation, fatiguée de ces désordres révoltants, prenne elle-même le parti de purger cette terre de la liberté de cette race criminelle, que ses lâches mandataires encouragent au crime par l’impunité, on ne doit pas trouver étrange que le peuple, dans chaque ville, poussé au