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quinze jours de présidence, Grégoire multiplie les déclamations imprudentes. On dirait qu’il oublie qu’il y a un intérêt de premier ordre à maintenir la neutralité de l’Angleterre, à ne pas irriter ses craintes ou son orgueil. Il répond aux délégués anglais :

« Les ombres de Pym, de Hampden, de Sidney, planent sur vos têtes ; et sans doute il approche le moment où des Français iront féliciter la Convention nationale de la Grande-Bretagne. » Paroles inquiétantes et frivoles, qui eurent au Parlement anglais un redoutable écho. Quelques jours après, en une réponse écrite et méditée aux sociétés de Sheffield et de Belfast, il dit aux Anglais amis de la Révolution : « Ah ! si jamais on attente à votre liberté, parlez ! et nos phalanges victorieuses sur les rives de l’Escaut, du Rhin, du Var et de l’Isère, franchiront le Pas-de-Calais pour voler à votre défense ». Annoncer le débarquement de la Révolution, quelle faute, et quelle méconnaissance du caractère anglais ! Le vin grossier de la victoire alourdissait déjà l’enthousiasme de la liberté.

Le 19 novembre, presque sans débats, la Convention rend un décret qui l’eût engagée dans une guerre mortelle contre toutes les forces conservatrices de l’univers ; et tous les partis, Brissot, Laréveillère-Lépeaux, Rühl, Sergent concourent au décret : « La Convention nationale déclare, au nom de la nation française, qu’elle accordera fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté, et charge le pouvoir exécutif de donner aux généraux les ordres nécessaires pour porter secours à ces peuples ; et défendre les citoyens qui auraient été vexés, ou qui pourraient l’être pour la cause de la liberté.

« La Convention nationale décrète que le pouvoir exécutif donnera ordre aux généraux de la République française de faire imprimer et proclamer le décret précédent, en diverses langues, dans toutes les contrées qu’ils parcourront avec les armées de la République. »

Brissot critiqua dans son journal la « généralité du décret qui serait ridicule si l’esprit même du décret ne le restreignait pas ». Mais il n’avait pas osé le combattre devant la Convention ; il en avait simplement demandé le renvoi au Comité pour rédaction.

Au fond du décret, il y avait des guerres inexpiables et le despotisme militaire. Comment conduire cette guerre universelle de la liberté sans tout livrer aux généraux ? Comment la soutenir sans lever des tributs sur les peuples mêmes que l’on prétend délivrer, et sans propager ainsi non l’indépendance mais la haine ? Déjà Condorcet, commentant le 20 novembre, le décret du 19, écrit :

« La France, en se déclarant l’alliée et le soutien de tous les peuples opprimés, en versant ses trésors et le sang de ses citoyens pour eux, aura sans doute quelques réclamations à leur adresser quand elle aura assuré leur indépendance en les délivrant du joug de l’oppression ; il sera juste de