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Enfin, le 2 septembre, la Législative adoptait le texte définitif du décret qui réglait dans ses dispositions les plus minutieuses la vente des biens des émigrés, selon les principes affirmés le 10 août. Il pourvoyait au remboursement des créanciers des émigrés ; mais en cas d’insuffisance, ce sont les biens seuls du débiteur, ce n’est pas l’ensemble du produit des ventes de tous les biens d’émigrés, qui répondaient de la créance.

L’article 10 disait :

« Il sera procédé, soit à la vente, au bail à rente. »

L’article 11 : « Dans la vue de multiplier les propriétaires, les terres, prés et vignes seront, soit pour le bail à rente, soit pour la vente, divisés le plus utilement possible en petits lots. À l’égard des bois, ainsi que des ci-devant châteaux, maisons, usines et autres objets non susceptibles de division en faveur de l’agriculture, ils seront vendus ou arrentés, ensemble ou disséminés, selon qu’il sera jugé, par les corps administratifs, être plus avantageux. »

Observez que le maximum de quatre arpents, fixé en août pour les lots, n’est pas maintenu et qu’ainsi il sera aisé souvent de ne pas procéder à « la division » des domaines vendus. Les préoccupations financières et bourgeoises réfrènent ici l’élan de démocratie qui, dès le lendemain du 10 août, s’était développé. Pourtant la tendance à la division reste inscrite dans la loi.

« Art. 12. — En cas de concurrence d’enchère pour le bail à rente et pour la vente à prix et deniers comptants, à égalité de mises entre la somme portée pour le prix de la vente et le capital offert de la rente foncière rachetable, l’enchérisseur à prix et deniers comptants aura la préférence. »

Ici encore, c’est aux acheteurs aisés, à ceux qui peuvent payer tout de suite que la loi assure un avantage.

« Art. 13. — L’adjudicataire à bail à rente, en retard d’acquitter deux années de la redevance foncière stipulée par l’adjudication, sera exproprié de plein droit sur la seule notification qui lui en sera faite, et sans qu’il soit, sous aucun prétexte, besoin de jugement. »

Enfin, pour que les acquéreurs aient d’emblée la libre disposition des biens, l’article 16 prévoit que « l’adjudicataire, à quelque titre que ce soit, pourra expulser le fermier en l’indemnisant, pourvu toutefois, à l’égard de l’indemnité, que le bail ait une date certaine antérieure au 9 février dernier. »

C’était d’ailleurs une suite nécessaire du morcellement des biens.

Malgré les restrictions que les tendances démocratiques premières de la loi ont subies dans le projet définitif, cette vente annoncée des biens des émigrés suscitait dans le sens de la Révolution des passions et des intérêts sans nombre. Par l’ensemble des mesures ou votées ou annoncées sur les droits féodaux, sur les biens communaux, sur les biens des émigrés, la Législative détermina en août et en septembre, dans toute la France rurale, un irrésistible mouvement.