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plaignait, à la date du 7 août, que les ouvriers formassent des rassemblements pour exiger de concert la hausse des salaires.

Les prolétaires savaient bien que toute exaltation de la vie nationale et de la liberté serait une exaltation de leur force, et un obscur pressentiment social était en eux. Mais leur pensée directe et consciente allait à la patrie menacée par l’étranger, à la liberté trahie par la fourberie du roi. Abattons le roi traître pour écarter, pour refouler plus sûrement les rois étrangers. Ce n’était donc pas un mouvement de classe explicite et immédiat qui soulevait les prolétaires.

Et cependant, tandis qu’au 14 juillet et au 5 et 6 octobre, c’est contre le despotisme royal seulement que luttaient les ouvriers unis à la bourgeoisie, maintenant, en cette journée du 10 août, ils luttent à la fois contre la royauté et contre toute cette partie de la bourgeoisie qui s’était ralliée à elle. En abattant le roi, ils vont prendre en même temps leur revanche de ce modérantisme bourgeois qui, au Champ de Mars, en juillet 1791, avait fusillé le peuple pour défendre la royauté.

Et le drapeau rouge, qui fut le drapeau de la loi martiale, le symbole sanglant des répressions bourgeoises, les révolutionnaires du 10 août s’en emparent. Ils en font un signal de révolte, ou plutôt l’emblème d’un pouvoir nouveau.

À quel moment précis l’idée vint-elle au peuple révolutionnaire de s’approprier le drapeau de la loi martiale et de le tourner contre ses ennemis ? Il semble que ce soit aux environs du 20 juin. Quand Chaumette, dans ses mémoires, raconte les préparatifs du 20 juin, quand il montre que les citoyens des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau « s’enorgueillissant d’être appelés sans-culottes par les aristocrates à dentelles », se préparaient à aller trouver le roi pour lui imposer la sanction des décrets, il ajoute :

« D’un autre côté, les patriotes les plus chauds et les plus éclairés se rendaient au Club des Cordeliers et de là passaient les nuits ensemble à se concerter.

« Il y eut entre autres un Comité où l’on fabriqua un drapeau rouge portant cette inscription : loi martiale du peuple contre la révolte de la cour, et sous lequel devaient se rallier les hommes libres, les vrais républicains qui avaient à venger un ami, un fils, un parent, assassiné au Champ de Mars le 17 juillet 1791. »

D’autre part, Carra, racontant les préparatifs non plus du 20 juin mais du 10 août, écrit :

Ce fut dans ce cabaret du soleil d’or (où se réunissait le directoire insurrectionnel) que Fournier, l’Américain, nous apporta le drapeau rouge dont j’avais proposé l’invention et sur lequel j’avais fait écrire ces mots : Loi martiale du peuple souverain contre la rébellion du pouvoir exécutif. Ce fut aussi dans le même cabaret que j’apportai cinq cents exemplaires d’une affiche où