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refuser toutes les occasions d’action révolutionnaire. Ainsi Robespierre et ses amis disaient : inaction, attente, prudence.

La Gironde aussi était très gênée. Comment prendre sa revanche ? Elle ne le pouvait qu’en soulevant la rue, et elle craignait que le maniement des forces populaires lui échappât. De plus, l’attitude de Dumouriez, qu’elle avait tant exalté, et qui soudain semblait trahir les patriotes, la mettait dans une situation terriblement fausse. Dumouriez, en effet, bien loin de se solidariser avec les ministres renvoyés, essaya de garder sans eux le pouvoir et de couvrir le roi.

Quel était son plan ? Avait-il voulu, comme le prétendaient le journal de Prudhomme et Brissot lui-même, se débarrasser de ses collègues pour exercer, avec des hommes de moindre influence, un pouvoir ministériel plus étendu ? Mais ce n’est pas Dumouriez qui avait suggéré à Roland l’idée de la lettre explosive qui fit tout sauter. Et il n’était point assez malavisé, à peine arrivé par la Gironde, pour se brouiller de parti-pris avec elle. Sur quelles forces, sur quels appuis aurait-il compté ? Il est probable qu’il se flatta qu’il obtiendrait de Louis XVI, par des moyens courtois et une agréable diplomatie, ce que la brutalité calculée de Roland n’avait pu obtenir. Témoigner à Louis XVI une extrême déférence, lui faire sa cour en se séparant précisément des butors qui l’avaient blessé, mais lui représenter que devant le soulèvement universel il était indispensable qu’il sanctionnât les décrets contre les prêtres et sur le camp, voilà sans doute le dessein de Dumouriez. Et quel double triomphe pour lui, auprès du roi et de la Révolution, si d’une part il permettait à Louis XVI de gouverner sans des ministres qui l’avaient offensé, et si, d’autre part, il apportait à l’Assemblée la sanction des décrets ! Voilà sans doute le calcul secret de cet habile homme, et j’imagine qu’il n’était point fâché outre mesure des murmures qui l’accueillirent d’abord, dès le 13 juin, à l’Assemblée, et des indignations qui éclataient contre lui. Cela lui constituait une sorte de titre auprès du roi et lui permettait d’agir plus efficacement sur lui.

Ces calculs furent trompés : Dumouriez s’aperçut vite qu’il ne pourrait arracher ou surprendre la sanction du roi. Dès lors il s’exposait sans profit et sans moyens de défense à toutes les colères de la Révolution. Après avoir pendant trois jours occupé le ministère de la guerre, après avoir tenté inutilement de jouer son jeu subtil et hardi, il se démit et demanda la permission d’aller aux frontières. Mais pendant quelques jours la Gironde, qui avait pour ainsi dire répondu de Dumouriez, fut dans un embarras cruel, elle n’avait ni autorité, ni élan. Elle essaya de se sauver en ouvrant brusquement l’attaque contre Dumouriez. Brissot écrit, le mercredi 13 juin, dans le Patriote français :

« Il est douloureux pour un homme qui a quelque délicatesse, pour un patriote qui sent combien l’union est nécessaire à la prospérité de nos armes,