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« J’ai une occasion bien sûre d’ici à Bruxelles, et j’en profite, mon cher frère, pour vous dire un mot. Vous recevrez avec celle-ci un mémoire que je suis obligée de vous envoyer, de même que la lettre que j’ai été forcée de vous écrire au mois de juillet. Il y avait aussi une lettre, mais comme elle dit la même chose que le mémoire, je me suis dispensée de l’écrire. Il est bien essentiel que vous me fassiez une réponse que je puisse montrer et où vous ayez l’air de croire que je pense tout ce qui est dans ces deux pièces, précisément comme vous m’avez répondu cet été. »

Pourquoi donc Marie-Antoinette est-elle obligée de transcrire et d’envoyer à l’Empereur les mémoire et lettre rédigés par Barnave, Lameth et Duport ? Elle a intérêt évidemment à ménager les constitutionnels ; mais si sur la question de la guerre ils ne traduisaient pas, au moins à quelque degré, la pensée de la Cour, elle saurait bien en avertir avec précision son frère. Elle décline seulement la responsabilité des vues que contient le mémoire sur la politique intérieure de la France. Ce mémoire n’est pas tout de Barnave, puisqu’il est consacré en partie à justifier la politique de Narbonne, que Barnave n’approuvait pas, mais il est certain qu’il y a collaboré. En dehors du témoignage précis de Fersen, le style même de certains morceaux équivaut à la signature pour ceux qui ont quelque habitude de la manière de Barnave.

« Pour juger sainement des affaires françaises, non seulement il ne faut prêter l’oreille à aucun parti, puisqu’ils sont tous également aveuglés par leur intérêt ou leurs passions ; il ne faut pas mieux espérer que l’on connaîtra l’état des choses par les opinions que l’on entend énoncer. Les opinions en ce moment ne sont ni assez universelles ni assez profondes pour servir d’indications sûres aux hommes qui veulent raisonner en politique. Il faut compter pour beaucoup le caractère français, et cette propriété qu’il a de s’oublier pour des idées générales et abstraites de liberté, patriotisme, gloire, monarchie, etc., en tout, d’obéir à des impulsions soudaines et rapides. Il en résulte qu’il est plus facile de le guider au milieu des événements en disposant avec art les objets de sa haine ou de son affection que de soumettre sa conduite au calcul. »

Et les auteurs du mémoire, après avoir analysé les esprits, tentent de persuader à l’Empereur qu’entre une minorité républicaine et une minorité contre-révolutionnaire il y a une grande majorité de citoyens modérés et paisibles qui reprendront la direction des affaires si la paix est maintenue. Ils manifestent donc l’inquiétude très vive que leur donne l’office de l’Empereur du 21 décembre.

« L’ordre donné au maréchal de Bender de secourir l’électeur de Trêves en cas d’attaque ou d’hostilités imminentes a produit ici le plus fâcheux effet, l’obscurité des motifs allégués pour cette démarche y a beaucoup contribué : on a cru voir que l’empereur renonçait au système de modération et de justice qu’il avait suivi jusqu’à ce moment pour adopter des vues contraires au