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mises aux principes constitutionnels prennent une marche grave, fière, imposante, la seule qui convienne aux législateurs d’un grand Empire. (Vifs applaudissements dans une partie de l’Assemblée et dans les tribunes.) Que les pouvoirs constitués se respectent pour se rendre respectables et qu’ils se prêtent un secours mutuel au lieu de se donner des entraves ; et qu’enfin on reconnaisse qu’ils sont distincts et non ennemis. Il est temps de montrer aux nations étrangères que le peuple français, ses représentants et son roi ne font qu’un. » (Vifs applaudissements.)

Et il termina par ces paroles à la fois ambiguës et flatteuses : « Pour moi, Messieurs, c’est vainement qu’on chercherait à environner de dégoût l’exercice de l’autorité qui m’est confiée. Je le déclare devant la France entière : rien ne pourra lasser ma persévérance, ni ralentir mes efforts. Il ne tiendra pas à moi que la loi ne devienne l’appui des citoyens et l’effroi des perturbateurs. (Vives acclamations.) Je conserverai fidèlement le dépôt de la Constitution et aucune considération ne pourra me déterminer à souffrir qu’il y soit porté atteinte ; et si des hommes qui ne veulent que le désordre et le trouble prennent occasion de cette fermeté pour calomnier mes intentions, je ne m’abaisserai pas à repousser par des paroles les injurieuses défiances qu’ils se plairaient à répandre. Ceux qui observent la marche du gouvernement avec un œil attentif mais sans malveillance, doivent reconnaître que jamais je ne m’écarte de la ligue constitutionnelle et que je sens profondément qu’il est beau d’être le roi d’un peuple libre. « Les applaudissements se prolongent pendant plusieurs minutes. Plusieurs membres font entendre dans l’Assemblée le cri de : Vive le roi des Français ! Ce cri est répété par les tribunes et par un grand nombre de citoyens qui s’étaient introduits dans la salle à la suite du roi, et qui s’étaient placés dans l’extrémité de la partie droite. Les tribunes des deux extrémités de la salle et les membres de l’Assemblée placés à l’extrême gauche ont gardé le plus profond silence.)

En vérité, c’était bien joué et le sémillant aventurier qui avait soufflé ce discours au roi avait fait largement les choses. Le langage royal était assez populaire et décidé dans le sens de la Constitution, pour que l’importun souvenir de Varennes parût se dissiper. Et la tactique nouvelle était bien définie : conquérir décidément la popularité en paraissant suivre, ou même devancer le mouvement belliqueux des esprits ; limiter étroitement la guerre ; mettre hors de cause l’Empereur d’Autriche et affirmer ses bonnes intentions : réserver l’ultimatum aux petits princes du Rhin et avoir ainsi une guerre bénigne, mais qui tromperait l’appétit de mouvement de la nation et qui permettrait au roi de prendre le commandement des troupes. Jusque-là le roi et Narbonne marchaient d’accord. Au delà, leur pensée secrète bifurquait ; le ministre croyait qu’il suffirait du prestige ainsi conquis, pour reviser la Constitution ; le roi s’obstinait à penser que le concours des puissances,