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rêver ; ils ne peuvent dès lors emprunter au monde visible un aliment pour leurs rêveries.

L’Église a durci et desséché le dogme. L’Évangile, avec son libre et poétique esprit, a été remplacé par des pratiques sèches, des formalités superstitieuses et des croyances terribles. Les doux horizons de la Palestine sont presque inconnus du paysan, et l’étoile qui guidait les bergers ne se lève pas sur lui. Il retrouve la poésie dans sa familiarité de tous les instants avec la vie des êtres et des choses. À la fin de l’hiver, quand les bestiaux, après de longs mois de réclusion, peuvent quitter l’étable, le jeune paysan accourt pour les voir sortir. Ils sont d’abord comme étonnés ; puis, grisés soudain par la lumière, le grand air, ils partent comme des fous, ils font en sautant, en mugissant, le tour de la grande prairie ; ils en reprennent possession ; puis tous, bœufs, vaches, taureaux, se précipitent et se confondent comme dans une mêlée. Ces bêtes pesantes s’enlèvent comme des chevaux légers. Elles s’arrêtent, soufflent, aspirent l’air, regardent l’horizon et, comme piquées tout à coup d’un aiguillon de folie, s’enlèvent de nouveau. Peu à peu elles se mettent à paître l’herbe courte et rare et, de temps à autre, dans le troupeau immobile qui semble cuver son ivresse, un bœuf se remet à bondir comme après l’orage une vague se dresse de loin en loin dans la mer mal apaisée. Ce sont