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eux qui introduisent dans les campagnes les refrains politiques et patriotiques venus de la ville, qui perpétuent dans nos campagnes les veillées, qui, sans eux, se perdraient ; ce sont eux, enfin, qui, à la sortie des offices ou en revenant du marché, escortent la jolie paysanne, laissant les anciens s’entretenir du cours des bestiaux. Aussi, quand à la campagne il est question de « la jeunesse », on sent qu’il s’agit d’une sorte de puissance organisée, qui n’a rien d’analogue dans les grandes villes.

De toutes les poésies qui se font ou qui se chantent à la campagne, la nature est à peu près absente : il s’agit d’amour, de fiançailles, de guerre, de départ, de retour, d’événements locaux ; mais les beautés mêmes de la campagne n’y sont jamais décrites ou même indiquées. Pourtant, le sentiment poétique ne manque pas aux paysans, mais, précisément parce qu’ils vivent dans la monotonie des beautés naturelles, ils demandent à leurs chansons de leur parler d’autre chose. Ils n’ont pas certainement la grande poésie ; et comment l’auraient-ils ? Le temps est passé, où les hommes divinisaient les forces de la nature, le soleil éclatant et les grands bois mystérieux. Les paysans n’ont pas encore sur l’immensité de l’Univers, sur le mouvement ordonné des astres, sur l’évolution et le progrès de la vie, ces grandes idées qui font vibrer la pensée au contact de la nature extérieure. Ils sont habitués à agir, non à