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Ce n’est pas que l’esprit d’invention et de création fasse défaut dans nos campagnes ; il y a une production poétique incessante. Il n’y a guère d’événements un peu curieux au village ou dans la contrée qui ne soient mis en chanson. Qu’il s’agisse d’un mariage comique, de la brouille d’un curé avec sa madone ou d’une élection, il y a toujours une demi-douzaine de poètes qui se cotisent et qui font une pièce de vers en collaboration. Ce n’est pas toujours très relevé, mais c’est vivant. Ce sont les jeunes gens qui font cela.

La jeunesse est, à la campagne, presque une institution. À la ville, et surtout dans les grandes villes, les plaisirs sont tout préparés : c’est le théâtre, c’est le cirque ; vieillards et jeunes gens s’y pressent confondus. Il n’y a de distractions pour les paysans que celles qu’ils organisent eux-mêmes : les fêtes votives, les bals sous les grands arbres. Mais qui donc organisera tout cela, qui s’emploiera à louer les musiciens, à orner l’emplacement, à recueillir les fonds, si ce n’est les jeunes gens ? Ce sont eux surtout qui résistent au curé quand il défend la danse ; ce sont eux qui, à la sortie de vêpres, organisent, à partir du clocher, ces courses à pied où il faut, tous les cent pas, poser un œuf à terre sans le briser ; ce sont eux, quand un mariage leur déplaît, qui sèment de la paille et du foin tout le long du chemin suivi par le cortège ; ce sont