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naturels plus d’observations personnelles et neuves : nous sommes dupes d’une illusion. À part quelques grands faits très simples, comme la succession des saisons, tout dans la nature est extraordinairement compliqué. La plupart des proverbes rustiques ayant trait à la vie agricole n’expriment guère que des coïncidences qui se renouvellent de loin en loin, mais comme c’est pour le paysan le seul point de repère, il y tient beaucoup, et il a beau prendre le proverbe en défaut, dix fois, vingt fois : il n’y renonce pas. C’est qu’il résume pour lui un premier essai de généralisation, de science, et qu’il a, en outre, la marque vénérable de la tradition. Voyez ces paysans sentencieux dont les paysans eux-mêmes disent qu’ils ont « l’air prophète ». On sent que, quand ils citent une maxime, ils croient participer à une sagesse très haute, et qu’ils en conçoivent pour eux-mêmes une sorte de respect.

Au point de vue de la terre, le paysan est très attaché à la propriété individuelle ; au point de vue de l’esprit, il aime, au contraire, à confondre sa propre sagesse avec la sagesse indivise de la tradition. Le prix de l’effort personnel, de la conquête personnelle dans l’ordre du savoir ne lui est pas suffisamment connu. Et c’est là une des raisons qui l’empêchent de vérifier et de corriger par son expérience propre les préjugés nombreux qui circulent.