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peuvent être abordées avec des capitaux modestes ; il y a de plus, dans la classe moyenne de notre pays, un tel esprit d’ingéniosité, d’initiative, d’épargne, qu’en bien des points le petit patronat se maintient encore ; mais il est menacé et sera bientôt débordé de toutes parts. Un ouvrier fort intelligent des Pyrénées-Orientales m’écrit : « Les usines de quincaillerie ont remplacé la serrurerie ; la fonderie a remplacé la forge ; il y a des usines de ferblanterie, de bimbeloterie. Dans la cordonnerie tout se fait à la machine, dans la menuiserie également… » Or, qu’est-ce que le triomphe de la machine, sinon le triomphe des grands capitaux ? Avant un demi-siècle, la classe moyenne sera délogée de ses derniers retranchements et refoulée en masse vers le salariat.

Elle ne subit pas seulement un dommage matériel ; elle subit un dommage moral ; non seulement elle est atteinte dans son esprit d’indépendance, mais elle est menacée dans ce sentiment de générosité humaine que développent presque toujours la haute éducation et la science. L’élite scientifique des classes moyennes se fait une place dans le monde nouveau, elle monte, mais à quel prix ? En se mettant du côté de la force, je veux dire du capital oppressif. Avec le machinisme et la grande industrie, les capitalistes ont besoin des ingénieurs et ceux-ci arrivent à de belles situations.