Page:Jaurès - Action socialiste I.djvu/50

Cette page a été validée par deux contributeurs.

idée, mais en donner, si l’on peut dire, le pressentiment. La maison du Bon Marché, à Paris, ne s’est guère développée que dans les vingt dernières années. Or, madame Boucicaut a laissé l’an dernier, à sa mort, une fortune de 120 millions. De combien de maisons disparues et d’indépendances englouties est faite cette fortune ?

La classe moyenne des producteurs ruraux a été atteinte, elle aussi, parle capitalisme ; les fermiers ont été, en somme, ruinés par lui. En effet, dans le mouvement général de la spéculation, la terre elle-même est entrée en danse. Le développement des grandes villes et de la consommation, le développement des moyens de transport, l’abondance des capitaux ont fait, vers le milieu de l’empire, hausser subitement le prix des terres et, en même temps, le prix des fermages. Le propriétaire a demandé deux fois plus, trois fois plus au fermier. Les capitaux engagés dans le sol exigeaient comme les autres une large rémunération. Les fermiers ont consenti, d’abord parce qu’ils n’avaient pas le choix, et puis parce qu’ils étaient aveuglés et éblouis par la prospérité passagère qui résultait de la hausse générale des prix.

Ainsi, pendant vingt ans, de 1860 à 1880, la terre a produit de l’argent à flots ; mais cet argent ne retournait pas à la terre en améliorations durables : il ne faisait que passer par les mains du fermier, et il allait se