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Certes, quand, il y a quelques années, presque tout le peuple de Paris acclamait les officiers russes, ce n’est pas à cela qu’il entendait aboutir. Il voulait répondre par sa sympathie à la sympathie présumée du peuple russe ; il voulait signifier sa joie de n’être pas seul dans le monde, et sa confiance en l’avenir ; sevré depuis longtemps de toute parole amie, il accueillait avec une cordialité expansive ces hôtes lointains qui lui parlaient avec une sorte d’amitié. Mais dans sa gratitude et dans sa joie il y avait de la fierté, la juste fierté de la France populaire qui sait ce qu’elle vaut, et le prix de ce qu’elle donne en se donnant. Si à ce moment-là on eût dit à ce peuple que des gouvernants sans habileté et sans fierté transformeraient en un lien de servage le lien d’amitié qu’il voulait former, il eût renié d’emblée ses propres acclamations. Et pourquoi nos gouvernants ont-ils laissé dégénérer un régime d’amitié en un régime de dépendance ? Parce qu’ils ont perdu le sens de ce qu’était la France en perdant le sens de ce qu’était la République ; ils ont cru que la République devait se faire pardonner d’être la République, aussi bien devant les alliés du dehors que devant les ennemis du dedans ; et ils ont mis la République à la suite du tsar pour nos affaires extérieures, comme ils l’ont mise à la suite de la réaction pour nos affaires intérieures. Ceux que l’idée républicaine embarrasse au dedans sont embarrassés au dehors par la forme répu-