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profonde des peuples avait besoin d’un organisme visible pour subsister silencieusement. Et pourtant même pour ces absorbés, même pour ces démembrés, même pour ces dévorés se préparent à l’heure présente et s’accomplissent les lentes réparations, par le seul progrès des libertés générales. À mesure que les gouvernements ont à compter de plus en plus avec la force de l’opinion, à mesure surtout que le suffrage universel se développe sur l’Europe — il a conquis la Belgique, demain il va conquérir l’Autriche-Hongrie, ailleurs peut-être il s’introduira sous d’autres formes, — tous les groupes d’intérêts, tous les groupes de sympathies, toutes les idées, toutes les forces d’un peuple sont appelées à la vie publique et à la vie légale, et même les conquis deviennent une force devant laquelle le conquérant est forcé de capituler parfois, avec laquelle il est obligé de compter toujours, et les vaincus avec lesquels le vainqueur est obligé de compter ne sont plus tout à fait des vaincus. La tactique des peuples opprimés change aujourd’hui par la nature des choses, comme la tactique du prolétariat lui-même. De même que le prolétariat a renoncé à la guerre des rues désormais inefficace pour marcher, par l’organisation de ses forces économiques et politiques, à la conquête du pouvoir, de même les peuples conquis, opprimés et foulés renoncent aux soulèvements armés de jadis pour utiliser au profit de leur