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Et je dirai plus, messieurs, au risque de paraître verser à fond dans la chimère : il ne me paraît pas juste que les enfants du peuple, précisément parce que leur vie sera faite de labeurs monotones et routiniers, soient déshérités des joies de l’art, et qu’ils ne soient pas mis en état de comprendre la beauté simple et grande des chefs-d’œuvre de notre langue. Je sais bien que la difficulté est beaucoup plus grande pour les enfants du peuple que pour les enfants de la bourgeoisie ; il y a une moitié de la France dans laquelle les instituteurs s’épuisent encore à apprendre les éléments de la langue française à leurs élèves. Et si dans la famille l’enfant trouve souvent l’entrain, l’esprit naturel, le goût du travail et de l’ordre, la naïve bonté, de solides vertus enfin, il n’y trouve certainement pas une culture de pensée suffisante pour comprendre les beautés de nos chefs-d’œuvre, qui ne sont pas une forêt vierge, mais un beau jardin.

C’est pour cela qu’il faut suppléer, par le nombre et la valeur des maîtres, par la vigueur et l’élévation de l’enseignement, à l’insuffisance de l’éducation familiale : cette éducation augmentée agira à son tour sur les générations nouvelles et, après vingt ou trente années, il s’établira un équilibre d’enseignement entre la famille et l’école, non pas, connue quelquefois aujourd’hui, par la médiocrité de l’école, mais par la valeur accrue de l’enseignement dans la famille populaire.