Page:Jaurès - Action socialiste I.djvu/343

Cette page a été validée par deux contributeurs.

un régime plus digne de l’homme, qui mît en jeu la personnalité morale de chacun ? Il en sera sans doute de ces craintes, si nous savons allier le désintéressement à la prudence, comme des craintes qu’exprimaient naguère encore ceux qui auraient voulu perpétuer au régiment, par la brutalité continue, une sorte de bastonnade morale.

Au témoignage des chefs immédiats, sergents et caporaux, qui recueillent pour ainsi dire à leur source les sentiments des soldats, notre jeune armée est pleine de confiance. Elle a foi dans la puissance de son armement nouveau, dans l’efficacité de la nouvelle tactique offensive, qui, par une combinaison très simple, offre au feu de l’ennemi moins de surface et moins de prise, diminue les pertes de l’assaillant, permet à l’infanterie française d’aborder à la baïonnette, la soutient en cas d’échec par de fortes réserves, grâce auxquelles elle peut se reformer en seconde ligne, et, associant ainsi la prudence et l’audace, fait des qualités morales d’une armée, de son âme, l’engin le plus formidable de la bataille. Si donc l’armée a foi dans cette tactique, c’est qu’elle a foi en elle-même. Les chefs ne négligent rien pour fortifier dans toutes les consciences le ressort moral ; un souffle ardent de patriotisme passe incessamment sur ces hommes, fondant les égoïsmes et les ignorances, faisant frissonner les drapeaux et les cœurs. Un sergent me disait : « Il en est qui arrivent au régiment,