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voulons ; nous voulons, au contraire, que tous les hommes puissent s’élever à une conception religieuse de la vie, par la science, la raison et la liberté. Je ne crois pas du tout que la vie naturelle et sociale suffise à l’homme. Dès qu’il aura, dans l’ordre social, réalisé la justice, il s’apercevra qu’il lui reste un vide immense à remplir. Je n’hésite pas non plus à reconnaître que la conception chrétienne est une forme très haute du sentiment religieux, et je goûte médiocrement certaines facéties grossières sur le christianisme et sur les prêtres.

Ce n’est pas qu’avec quelques beaux esprits de notre temps, qui veulent donner à leur scepticisme je ne sais quelle apparence de foi, je sois disposé à médire de Voltaire. Sa terrible ironie a été utile ; elle a éveillé et délié les esprits, et, sans lui, la haute critique religieuse de M. Renan, impartiale et sereine, sympathique même, eût été impossible : on ne peut être juste envers les grandes erreurs que lorsqu’elles sont à peu près vaincues. Mais, maintenant, le peuple est assez détaché du merveilleux et des fictions pour qu’on puisse lui parler du christianisme, non comme Voltaire, mais comme M. Renan. L’heure est venue, pour la démocratie, non pas de railler ou d’outrager les anciennes croyances, mais de chercher ce qu’elles contiennent de vivant et de vrai, et qui peut rester dans la conscience humaine affranchie et agrandie.