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l’amour en visites

porte une fois ouverte (celle-là n’avait point de serrure, seulement un heurtoir de cuivre, et elle s’ouvrit comme fondant sous les coups répétés), je suis entrée, serrant les lèvres et les narines pour ne pas aspirer l’air d’une maison maudite. En même temps que moi pénétrait un chien. Je ne sais quel chien. Il avait plus peur que son maître (j’étais son maître puisqu’il me suivait aveuglément jusqu’ici), il se collait contre mes jupes, il léchait mes mains et les rendait humides sous l’angoisse de sa langue presque froide. J’avais envie de le tuer ou de le saisir affectueusement dans mes bras pour le supplier de ne pas me quitter. C’était un bon chien ; il ne grondait pas, tout en flairant les choses suspectes de cette demeure. Il aurait dû gronder. Le cri d’un animal m’aurait certainement rappelée aux sentiments naturels. Et on ne peut que se laisser aller aux sentiments surnaturels, puisqu’ils sont en dehors de nous. Je sentais bien que la fidélité d’un chien ne peut balancer la douceur des ailes de l’inconnu, qui sont membraneuses. Il ne fallait pas me dire que, dans le noir, il y a des yeux humains, et que l’in-