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Ses yeux n’ont point de candeur, mais une chaude et hautaine mélancolie, une coulée de lumière noire au-dessus du nez mobile et mince. Et ses joues et son menton font un arc si parfait et si plein que tout baiser en voudrait rompre l’harmonie. D’un grand chapeau de paille orné de pavots des moissons, les cheveux coulent en repentirs obscurs sur la ronde lueur de l’épaule. Et tout le corps n’est qu’une grâce paresseuse qui fléchit sur ce banc d’où la main d’Almaïde, négligemment, laisse tomber une missive.

… C’est une lettre d’Eléonore de Percival, une amie de pension qu’elle a revue parfois, qui lui fait part de ses fiançailles et la convie à son mariage :

Ô Almaide ! lui écrit-elle, je sentais que mon cœur allait éclater… Je n’avais jamais trouvé le Printemps si beau que cette année… Peut-être que le Ciel, pour me donner ce pressentiment de ma joie, voulut parer davantage la Nature… Jamais la prairie n’a été si charmante et les seringats, lorsqu’ils frôlaient mes boucles, exhalaient un parfum qui me faisait défaillir. Ô Almaïde ! Je prie pour toi le Bon Dieu qu’il t’envoie une pareille ivresse. Si tu savais… L’autre soir, pendant que je me promenais au bras de mon fiancé, un rossignol s’est pris à chanter… Je succombais. Il me semblait que ma poitrine allait se briser et