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Elle dut chantonner Le Rivage du Maure,
en faisant un grand geste, et gonflée de sanglots.
Ah ! Elle dut toucher le cœur du capitaine
habitué cependant aux fièvres, aux typhons,
aux coups de caronade et aux lames de fond.
Il dut la regarder, la jeune poétesse
qui, en sentant virer le navire, pâlit.

Emportait-elle un chat dans son humble cabine,
ou bien un canari qu’elle avait élevé
et pour qui de l’eau douce, un peu, fut réservée
dans la tristesse de la longue traversée ?
Dans le porte-monnaie de la pauvre orpheline
resta-t-il quelques sous quand on passa la Ligne
pour payer son baptême aux marins déguisés ?

Mon cœur, ne souris pas de cette poétesse.
Elle était le génie qui doit souffrir sans cesse,
et dont le sel amer des larmes soucieuses
cuit la paupière rouge et plaque les cheveux.
Elle était l’exilée qui se confie aux brises,