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Berce-moi doucement. Sois pour mon pauvre cœur
l’ami que tu étais lorsque j’étais enfant.
Il y avait un grenier où j’allais souvent
t’écouter siffler sous les portes et par les fentes.
Et puis, je me mettais sur une caisse. De là,
je regardais la neige bleue de la montagne.
Mon cœur sautait. J’avais un petit tablier blanc.
Pleurer, mon Dieu ?… Je ne sais plus… J’avais quatre ans.
Oh ! La contrée natale… Qu’elle était transparente…

Ô vent, veux-tu, me-dis, que gardien de chèvres,
je donne ton baiser à ma flûte légère,
assis comme un poète au milieu des fougères ?
Veux-tu faire se pencher vers moi comme des roses
toutes les bouches de toutes les jeunes filles ?
Dans quel pays mènes-tu mon rêve ?… Dans quel pays ?…
Des mules sont passées dans la neige d’aurore
qui portaient des vins noirs, du tabac et des filles.