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me laisse sans espoir, car les hommes ont ri
que mon cœur éclatât de les vouloir chérir.
Quand j’ai pansé leurs plaies, les malades ont ri.
Quand j’ai séché leurs larmes, les femmes ont ri.
Quand j’ai chanté leur joie, les bienheureux ont ri.
Lorsque j’ai pris le deuil, les affligés ont ri.
Ceux-là seuls m’écoutaient que l’on nomme poètes,
et qui ont dans leurs yeux le mystère des bêtes.

LA JEUNE FILLE

Tais-toi. Tu dis des mots terribles, mon ami,
comme ceux de l’agneau que le loup a saisi.
Que t’ont fait encore les hommes pour souffrir ainsi,
pour que ton âme saigne ainsi ?

LE POÈTE

pour que ton âme saigne ainsi ? Ils ont menti.
J’ai souhaité parfois de m’en aller au loin,
sur quelque grève sauvage, avec mes chiens,
d’où l’on n’apercevrait que le soleil et l’eau
montant et descendant pour mourir l’un dans l’autre.
Mon cœur terrible se tairait dans mon orgueil,
et dans l’horrible joie d’aimer les hommes, seul.