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LE POÈTE

Dis ? N’est-ce pas là-bas des brumes d’ailes d’anges ?
On sent passer des vols de choses immobiles.
Ô divine et cocasse vieille ! La beauté
de tout ce que je vois d’heure en heure s’augmente.
De quel charme l’enchantes-tu ?

LA PETITE VIEILLE.

De quel charme l’enchantes-tu ? De pauvreté.
L’air est un océan. L’Aube accouche la Terre.
Les coteaux surgissants, pareils à des baleines,
nagent vers le soleil et bondissent. Un char
crie, écrasant là-bas le gravier de la boue.
La vie commence. Vois : les herbes les plus petites
commencent une à une à se montrer. Voici
l’euphorbe d’or, la véronique bleue, la mousse.
Sens-les vivre dans leur bonté modeste et douce.
On ne les entend point. La rosée est leur voix.
Leur âme tendrement un jour se fanera.
On les a surnommées les simples, simplement.
Elles font un devoir ignoré, comme nous.
Elles ont toujours l’air de prier à genoux.