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natal, et son grade dans l’administration coréenne. Il ajoute naïvement qu’il a écrit très gros afin de me rendre plus facile la lecture d’une langue dont j’ignore le premier mot. Je prends sa carte, et avant de la serrer précieusement dans mon portefeuille, je l’examine. Les caractères qui y sont tracés forment une suite de jambages, où je ne retrouve, au premier abord, ni la complication des signes idéographiques chinois, ni les courbes gracieuses des alphabets mongols et mandchoux, ni les formes plus latines du tibétain. Je serais fort embarrassé de rattacher cette écriture à quelqu’une de ses contemporaines d’Asie, n’était le souvenir des savants enseignements de M. Alfred Maury (de l’Institut), qui m’avait appris qu’elle était une progéniture des caractères chinois, conçue sous l’influence de la connaissance d’un système alphabétique dérivé du phénicien[1].

Pour lui bien montrer que mon « au revoir » n’est point un simple euphémisme de politesse, je lui parle du Japon, qui était hier encore complètement fermé aux idées et aux hommes de l’Occident, et qui est aujourd’hui sillonné de chemins de fer.

Ma réflexion n’a point le don de le convaincre. Quoique je susse fort bien qu’il avait très paisiblement dormi, il était ce matin-là de bien plus méchante humeur que la veille ; il était dans une de ces périodes de malaise de l’esprit pendant lesquelles tout ce qui frappe les yeux et l’imagination se dessine en sombres couleurs.

« Voyez-vous, me dit-il, la situation du Japon n’est pas enviable ; je préfère encore celle de mon pays. Les Japonais, dès qu’ils ont vu les avantages de l’organisation occidentale, ont voulu aussitôt en profiter. Il ne leur est point venu à l’esprit que cette dernière n’avait sans doute pas été créée en un jour, et ils se sont mis à acheter toute espèce de machines, sans se donner le temps d’amasser l’argent nécessaire pour les payer. Maintenant, ils ont tant acheté qu’ils sont à peu près ruinés, et pour essayer de trouver un peu d’argent, ils sont venus nous dépouiller, plus ou moins honnêtement, de ce que nous avons. Les Chinois seuls ont su résister à la violence de l’Occident ; ils sont justes pour les faibles, les protègent et ne leur demandent point d’argent, ce qui tient à ce qu’ils sont généreux, comme doit l’être un peuple qui est supérieur en force et en civilisation à tous les autres. »

  1. Ces enseignements ont été admirablement résumés par leur auteur, dans un remarquable travail : « L’histoire de l’écriture, les origines et les développements de l’alphabet. » Revue des Deux-Mondes du 1er septembre 1875.