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fuir ensemble jusqu’à l’heure où ils se fuiront mutuellement.


XXIV

DANS LEQUEL MADAME PIOUTTE
TRAVAILLE POUR SON FILS


La mouche active et bourdonnante, qui se posait sur son front, lui chatouillait le nez, lui courait sur les doigts, lui agaçait le coin des lèvres, ne parvenait point à distraire de son travail Mme Pioutte, occupée à faire courir une pièce de toile sous la dent aiguë d’une machine à coudre, dont le bruit emplissait l’appartement de sa trépidation acharnée et furieuse.

Virginie se renversa, en bâillant, contre le dossier de sa chaise. Ses mains laissèrent glisser l’ouvrage qu’elle brodait avec minutie. Elle regarda avec envie la fenêtre où des mouches vrombissaient dans des cages de soleil, croisa les jambes et murmura :

— Eh bien, maman, tu travailles toujours ?

Mais Mme Pioutte était trop absorbée par son œuvre pour répondre à sa fille. Des kilomètres d’étoffe blanche fuyaient sous les piqûres de la machine, comme pour échapper à la douleur.

Virginie se leva, plia sa bande et se rassit, avec un ennui visible peint sur sa figure vive et brune. La mouche courut sur sa robe, elle observa, une minute, ses ailes de gaze, striées de nervures, colorées par la lumière des nuances de l’arc-en-ciel, puis la chassa d’une chiquenaude.

— Ce diptère est bien ennuyeux, déclara-t-elle, sur un ton pédant.

— Ce quoi ? fit Mme Pioutte, en levant la tête.

— Diptère ! On peut appeler comme ça les mouches. Ça fait toujours de l’effet.

Mme Pioutte haussa les épaules et ne répondit pas. Il