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LE MARQUIS DE SADE

appointements de capitaine. Il fit de nouveaux efforts auprès du comte pour obtenir au moins l’ajournement de ce mariage qu’il redoutait, comme s’il pressentait déjà ce qui en arriverait ; il s’adressa ensuite a. M, de Montreuil qui fut encore plus inflexible ; il recourut en dernier espoir à madame de Montreuil, qui lut ferma la bouche avec une réponse froide et impérieuse ; il supplia enfin la plus jeune des demoiselles de Montreuil de l’aider à vaincre ces difficultés insurmontables, et il la vit elle-même, toute on larmes, intercéder son père qui chancelait, sa mère qui la maltraitait, sa soeur qui ne pouvait que pleurer avec elle.

Rien ne fit : les deux chefs de famille avaient arrêté entre eux les conditions du mariage qui allait s’accomplir ; tout était irrévocablement conclu avant que le marquis de Sade se fût soumis à cette tyrannie. Tout à coup il changea de rôle et de dessein ; il ne s’obstina plus à réclamer la liberté du choix d'une compagne, et ne s’ingénia plus à créer des délais et des embarras qui ne pouvaient être éternels, il se prêta de bonne grâce aux exigences de l’autorité paternelle, il épousa la fille aînée de M, de Montreuil. Mais, au fond de l’âme, il maudissait la société, les lois, l’opinion, parce qu’elles ne lui avaient donné aucun appui contre le pouvoir despotique d’un père qui était maître d’ordonner le malheur ou la ruine de son fils ; au fond de l’âme, il songeait à revendiquer les droits méconnus de la sympathie, et à prendre de vive force, comme un voleur, le trésor qui lui appartenait, et auquel il n’avait pas renoncé : il avait la pensée d’un seul crime, pour l’accomplissement duquel tous les autres crimes lui paraissaient des jeux d’enfant ; il voulait rentrer dans la possession de son amante, que le titre de belle-sœur ne rendait pas sacrée pour lui. Dès ce moment, il esquissa son système de guerre secrète et de rébellion permanente contre l’ordre de Chose établi dans le monde social.

Son ressentiment s’accrut de la tendresse que lui portait sa femme qui mettait une sorte de religion à aimer l’époux qu elle avait reçu des mains de ses parents : elle ne l’eût pas moins aimé, s’il avait été laid, sot et déplaisant ; mais elle l’aimait d’autant plus qu’il était charmant de figure, d’esprit et de manières.